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Les turbulentes ! Géraldine Faladé (éd. Présence Africaine, 2020)  

Des Africaines en avance sur leur temps...

Des Africaines en avance sur leur temps...

Turbulentes ! de Géraldine Faladé (éd. Présence Africaine, 2021)
Militantisme des femmes de la première génération des élites africaines issues de la colonisation

Après les portraits de femmes dans l’essai de Sylvia Serbin, Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire, plusieurs ouvrages ont mis en lumière l’action de plusieurs femmes charismatiques qui a toutefois été passée dans les angles morts de l’histoire.

Force est de constater qu’on ne nous dit pas tout et que l’information, nous avons plus que jamais le devoir, la contrainte d’aller la saisir. Sur les 17 portraits de femmes que décrit Géraldine Faladé dans son ouvrage, Turbulentes! Il n’y a que quatre dont  j’avais entendu parler, une seule dont j’avais une connaissance assez précise du parcours : l’écrivaine sénégalaise Mariama Bâ. Je cite la femme politique politique Aoua Keïta, la chorégraphe sénégalaise d’origine béninoise Germaine Acogny ou la journaliste Annette Mbaye d’Erneville. Pour ces trois dernières femmes, le travail biographique de Géraldine Faladé est essentiel, précieux. Prenons  le cas de la journaliste sénégalaise Annette Mbaye d’Erneville. C’est un cheminement passionnant qui commence par la formation à l’Ecole Normale d’institutrices d’Afrique de l’Ouest Française de Rufisque, institution qui a formé près de 500 femmes venant de toute l’Afrique de l’Ouest, de 1938 à 1950. Annette y sera élève puis, plus tard, surveillante générale. Mais c’est surtout la recherche d’une vocation qui va la conduire au journalisme et faire d’elle une référence dans le domaine du cinéma et du journalisme culturel.

Quelques figures incontournables pourtant inconnues

Qui parmi vous connaît Josepha ? Pourtant à la lumière de certains combats extrêmement virulents comme celui du traitement du cheveux noirs depuis près de 50 ans, Josepha Jouffret est une précurseuse (permettez moi ce néologisme totalement justifié) puisqu’elle ouvre dans le Quartier Latin de Paris des années 60 le premier espace dédié aux soins et à l’esthétique des femmes noires. Elle est caribéenne.  Elle a osé répondre à un besoin. La question du traitement du cheveu noir de ces clientes afro-descendantes est déjà au coeur du sujet. Il faut juste se représenter la chose à la lumière des débats clivants d’aujourd’hui. Le fait que Géraldine Faladé commence par cette entrepreneuse signifie quelque chose de très fort pour toutes les femmes de son époque.

Qui de vous connaît Funmilayo Thomas Ramsone Kuti ? C’est l’un des portraits les plus intéressants proposés par Géraldine Faladé. D’ailleurs, cette séquence réserve une surprise au lecteur ou à la lectrice et en dit long sur les logiques du pouvoir des hommes en Afrique subsaharienne qui tendent à effacer certains parcours d’un récit national de différents pays. Le parcours de cette femme nigériane  qui naquit en Sierra Leone nous rappelle le parcours singulier de certaines familles dont un ascendant, sa mère Sarah Taïwo, a survécu à la Traite négrière, étant partie du pays Yorouba comme captive (enfant), débarquée par des anglais abolitionnistes en Sierra Leone… Le parcours de la mère de Funmilayo peut expliquer le désir des parents de voir leur fille s’instruire dans le système éducatif occidental qui se met en place dans cette première phase de la colonisation. Funmilato Thomas devenue Ramsone-Kuti par le mariage, va être particulièrement investie sur la question de l’alphabétisation dans cet espace, elle va se battre pour le droit des commerçantes bafouées par le système colonial, ceux des femmes. Une combattante acharnée qui sera une des figures importantes au moment de l’indépendance du Nigéria. Accessoirement, c’est la mère du célèbre musicien Fela Kuti dont on comprend l’origine de l’engagement politique face aux dictatures qui se succéderont dans ce pays…  Elle en subira de fâcheuses conséquences. Le cas de Funmilayo Ransome-Kuti est le parfait exemple de la figure masculine, son fils, qui efface le portrait d’une grande femme.

Derrière une Diop, une autre…

On connaît Christiane Diop pour son engagement depuis des années dans la promotion de la littérature, des humanités des Afriques et l’entretien du patrimoine Présence Africaine construit par son mari Alioune Diop. Mais qu’en est-il de sa grande sœur Suzanne Diop? En travaillant sur cette dernière, la journaliste permet de mettre en lumière l’histoire de la famille Mandessi Diop dont on connaît également le poète de la négritude, trop tôt parti, David M. Diop. Coups de pilon… Le parcours des Mandessi Diop est assez étonnante. Une princesse douala, un Sénégalais… Elle s’est construite au cœur de l’élite africaine en région parisienne, pendant cette période très turbulente des années 40-50. Suzanne Diop est magistrate. Comme plusieurs autres femmes turbulentes de cet ouvrage, elle va suivre son mari en Afrique avant de revenir en France pour aller servir au Sénégal sous l’égide de Senghor, président de cette république. On retrouve chez Suzanne Diop, un intérêt marqué pour l’amélioration de la condition des femmes. Ici, par le moyen du droit. C’est une constante dans les différents portraits de ces femmes. Faire avancer la condition des femmes au sein des nations naissantes. La manière d’atteindre cet objectif est aussi importante que le but lui-même. A plusieurs reprises, il est question de diplomatie, de ménager les hommes. J’ai posé d’ailleurs la question à Géraldine Faladé sur cet aspect consistant à ne pas bousculer le patriarcat. Sa réponse est assez claire : « Les hommes n’étaient pas nos ennemis, nous avions des nations à construire ». Il y a quelque chose d’inclusif dans cette démarche qui correspond peut-être à une certaine époque. 

Mariama Bâ et sa soeur, ma mère et sa grande soeur…

Le cas de Mariama Bâ est très intéressant de ce point de vue. Tout d’abord parce que la sororité a aidé son projet littéraire quand Annette Mbaye d’Erneville l’a encouragée à publier son premier roman. Mariama Bâ met en scène dans son roman cette forme « diplomatique ». Une si longue lettre est l’exemple même de ce louvoiement qui finit par questionner des générations d’élèves africains par la forme subtile avec laquelle elle traite la polygamie et le veuvage en terre sénégalaise. Une critique inattaquable puisque, dans le fond, ce roman met en scène un dialogue entre deux femmes. Dans sa vie personnelle, l’écrivaine sur le tard s’est donnée plus de liberté, n’hésitant pas à divorcer à deux reprises dans une société sénégalaise très conservatrice. L’histoire de Mariama Bâ rappelle aussi le fait d’un patriarcat positif. En effet, le père de la future écrivaine a été décisif pour imposer la scolarité de sa fille aux différents clans familiaux. C’est une constante pour cette époque qui me rappelle la trajectoire de ma propre mère, Marceline Ampila-Ngangoué, une des premières chercheurs en biochimie au Congo, titulaire d’un doctorat 3è cycle obtenu à l’université Claude Bernard de Lyon en 1979. Sa soeur aînée a été crucifiée sur l’autel de la tradition par une tante paternelle qui ne voyait pas l’intérêt d’envoyer des filles à l’école des Blancs… Alors que ma mère avait onze ans et que ses frères aînés encourageaient mon grand-père, ce dernier opta pour la scolarité de sa seconde fille…

D’autres femmes disruptives

Il y a le portrait de la première femme d’une grande ville africaine, Lomé, la togolaise Marie Madoé. Deux femmes représentantes de l’Afrique centrale comme Julienne Niat et Sita Bela pour le Cameroun. Jeanne Martin Cissé (Guinée)  qui fut une femme politique sous le régime de Sékou Touré connaîtra la prison à l’arrivée au pouvoir de Lansana Conté. Cela ne vous surprendra pas que je sois plus attentif au profil des artistes comme la béninoise-sénégalaise Germaine Acoigny qui fut une des premières chorégraphes au Sénégal. 

Ce livre répond à beaucoup de questions. Il met en valeur beaucoup de profils, de parcours tus. Je réalise combien le patriarcat écrase, tue des figures de valeur pourtant importantes pour comprendre l’histoire de nombre de pays subsahariens. Je me suis demandé comment autant de profils pouvaient avoir échappé à ma connaissance. Le cas de la Funmilayo Ramsone-Kuti est une démonstration. Totalement éclipsée par Fela, son fils dont l’engagement politique s’explique largement par son histoire familiale. Parce que je suis le fils d’une de ces turbulentes, je comprends mieux que personne les trajectoires décrites de ces femmes qui, pour moi, ne sont pas des pionnières puisque le combat des femmes africaines, leur place dans la société ne commencent pas avec la colonisation. Elles sont la résultante de la  mise sous coupe de ses enfants de chef qui, au Sénégal (pour l’A.O.F) et au Congo-Brazzaville (pour l’A.E.F) ont été plongées pour la plupart dans un système éducatif qui souvent les a éloignées de leurs communautés respectives. Les profils des pères se ressemblent. Il y a beaucoup d’énergie, de force, d’abnégation chez ces femmes, une vision collective plus « altruiste » qu’on ne peut retrouver dans l’approche des jeunes militantes afro-féministes qui de plus en plus se construisent en opposition avec leurs partenaires. Du moins, c’est ma lecture des choses. Les deux postures devraient se rapprocher pour avoir une démarche plus équilibrée. 

Mais les excès du patriarcat m’imposent de me taire car dans le fond, je n’ai rien à dire d’autres que ce qu’exprime Géraldine Faladé, qui rend également hommage à sa grande soeur Solange Faladé, première psychanalyste de son pays, militante au sein de la FEANF (Fédération des Etudiants Afrique Noire de France) aux premières heures de ce célèbre mouvement estudiantin, a écrit un essai remarquable. Vivement d’autres portraits!

Gangoueus

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