L’enfant que tu as été marche à côté de toi
Gaston-Paul Effa, éditions Gallimard, 2021
J’ai lu plusieurs romans de Gaston Paul Effa. L’écrivain camerounais est l’une des plus belles voix de la littérature africaine de langue française. L’enfant que tu as été marche à côté de toi son roman publié en 2022 s’inscrit dans la lignée cette œuvre littéraire dense avec toutefois une tonalité singulière.
Gaston-Paul Effa propose un roman différent. Même si sous certains aspects, il revient de nouveau sur la question de la tradition, de l’initiation à un patrimoine culturel qui habite son propos et sur lequel il porte un regard distancié par le catholicisme de Douo. Dans ce roman au titre évocateur, la construction de l’enfant va donc être déterminante pour comprendre comment les expériences de l’enfance peuvent influencer un quotidien fait d’incertitudes et de brutalités. La première phase du roman nous permet de prendre part à la naissance de Douo dans des conditions exceptionnelles, déroutantes, sur un sentier bordé par un arbre impressionnant. Le lecteur doit se montrer attentif. Ce n’est ni confus, ni clair. Mais chaque élément décrit aura une explication ou apportera de la profondeur aux conclusions possibles, à la compréhension d’un effondrement qui arrive. Dès les premiers mots de cette narration, il y a un rejet originel :
“Lorsque l’enfant s’était annoncé en elle, la jeune fille avait éprouvé un froid qui excitait des frissons si forts, si douloureux que son sang se glaçait dans ses veines” (incipit).
Les mots qui nous introduisent au monde de cet enfant sont magnifiques. Ils nous parlent d’une jeune femme. Yossa. Je me rends compte à la relecture de certains passages de ce roman que son début est crucial. Il y est question d’embrigadement, de campagnes de répression, de nidifications chaotiques, de militaires, de violences non dites, du corps qui encaisse, qui absorbe le stress et qui parle à un autre corps. En première lecture, c’est le deuxième volet de la narration qui m’a accroché. Mais cette introduction est magistrale. Extrait du chapitre “La Nativité” axé sur la naissance de l’enfant.
“La jeune femme à peine pubèe n’avait pourtant pas en le temps de voir l’enfant venir. Elle ferma les yeux et tous ses sens se recueillirent en leur intimité particulière. C’est au pied d’un sisal que tout avait commencé […] La jeune femme, seule, au pied du palmier, sentait ses os s’élargir entre ses genoux, ses vertèbres, ses hanches. Tout s’écartelerait en elle, se disloquerait sans efforts, se creuserait et s’ouvrirait, comme une pression puissante qui monterait et descendrait depuis sa bouche grande ouverte jusqu’à sa fente” (p.17)
L’enfant va grandir. Douo. Loin de sa mère, dans une institution catholique au Cameroun, tenue par des Alsaciens. Il finira par poursuivre ses études en Alsace.
Dans la première partie du roman qui n’est aucunement linéaire, il y a irruption d’une scène de guerre. Peut-être n’ai-je pas été assez attentif. Je ne situe pas cette scène. Je finis par saisir qu’il s’agit d’un acte terroriste récent. L’attentat terroriste du marché de Noël de Strasbourg du 11 décembre 2018. Douo est témoin et victime de ce terrible acte perpétré par Cherif Chekatt. Il y survit (5 morts, plus d’une dizaine de blessés graves)
Pourquoi survit-on à un tel événement ? Comment le dépasse-t-on ? Comment annihile-t-on le sentiment de culpabilité d’être encore en vie ? Pourquoi certains, victimes d’un tel événement, s’effondrent littéralement et durablement d’un point de vue psychologique ? Est-ce que la foi chrétienne ou l’initiation clanique fang permettent-elles de faire face de telles chaotiques rencontres ? La psychothérapie, à la lisière cartésienne de ces deux systèmes de valeur, va révéler quelque chose de monstrueux. Ce roman de Gaston-Paul Effa est déroutant, terrifiant. Il nous rappelle la compléxité de la vie. Il est l’occasion pour l’écrivain de mettre en miroir, aux termes de sa thérapie, les violences de l’Histoire et leurs incidences sur les individus. N’hésitez pas à regarder l’émission littéraire Les lectures de Gangoueus consacrée à ce roman. Vous aurez plus d’éléments de compréhension. Pour Gaston-Paul Effa, il y a eu un avant et un après ce roman.
Gangoueus
attentat terroriste Editions Gallimard Gaston-Paul Effa revolution camerounaise
Previous Next
Commentaires récents