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Les bulldozers n'aiment pas les lampadaires - Josué Ghebo (2025)
Une imposture narrative ?
By Erick Digbé Posted in Erick Digbé, Poésie, Roman on 27 juillet 2025 0 Comments
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Les bulldozers n’aiment pas les lampadaires, Josué Guébo
Editions Vallesse, première parution en 2025

Après Destins de clandestins (récit-jeunesse), Josué Guébo revient avec un second roman : Les bulldozers n’aiment pas les lampadaires. Dans ce récit, il faut le dire d’emblée, ce n’est pas le pouvoir qui détruit ; c’est Guébo qui piétine la narration à coups de concepts et de vers pompeux.

Dès les premières pages, il semble évident que l’auteur poursuit un projet littéraire articulé autour de la continuité thématique et des personnages. On retrouve ainsi Viepp et Danon, figures déjà croisées dans Destins de clandestins, qui réapparaissent comme pour donner une suite à leurs trajectoires brisées, après leurs mésaventures « clandestines ». Mais cette tentative de retour narratif n’est pas une réussite ; les maladresses de Destins de clandestins ne sont pas corrigées : elles sont approfondies.

Les bulldozers n’aiment pas les lampadaires n’est pas un roman au sens noble du terme. Ce n’est pas un univers cohérent et dense. Il souffre du manque de personnages incarnés, de lieux marqués et de tensions intenses. C’est plutôt un long bavardage théorique et philosophique mal digéré.  Le récit n’est pas porté par une langue habitée, mais il est étouffé par une logorrhée poétisante qui masque à peine une incompétence narrative.

« De l’avis de Blalè, le réel, par ailleurs, s’est tant dématérialisé qu’il est pratiquement impossible à ce jour de le saisir hors des abstractions de l’écrit. Dans un monde hyper-symbolisé, être intellectuel suppose un accès minimal au fond commun de la réalité métaphorique. Les symboles mathématiques, les formules chimiques, les concepts et les algorithmes sont la nouvelle fenêtre au travers de laquelle le réel, aujourd’hui, pour perspicace qu’elle puisse être, s’expose à la péremption. Des notions comme l’ubiquité, qui semblaient relever de champs extérieurs à la raison, sont passées de la zone du mythe à la réalité. » (P.58)

Les 199 pages du livre sont réparties en douze chapitres qui tiennent davantage de la titrologie didascalique : chaque titre, accompagné d’une épigraphe, se veut une entrée conceptuelle dans ce que l’on va subir. Ces éléments, censés guider le lecteur, encombrent la narration qui manque de fluidité. Aussi, les personnages, au lieu de vivre, déclament ou dissertent. À cet égard, Viepp et Danon ne sont pas des personnages de roman ; ce sont des porte-voix philosophiques. Ainsi, le dialogue dans ce roman est désincarné. Cet échange en est une illustration fort éloquente :

« – Danon, l’écart entre l’optimisme et la naïveté n’est pas une différence de nature, c’est juste une différence de degré.    – Et donc pour toi, tout optimiste est un naïf à faibles doses. » (P.41)

En fait, ce ne sont des dialogues, plutôt des aphorismes, des pensées mises en bouche sans incarnation.

En outre, le roman prétend suivre un fil narratif : celui du retour de Viepp à Guéwié, quartier fictif d’Abidjan, et de sa quête de Noura, sa bien-aimée perdue depuis sa mésaventure migratoire. Danon, lui, est devenu un « Bishop » influent, à la tête d’un centre de désintoxication, Blademy, qui cache un trafic de drogues. Cependant cette trame reste constamment brouillée par des sauts de chapitres inexpliqués et des flashbacks mal maîtrisés. À cela s’ajoutent des ruptures de ton et des ajouts de personnages notamment Blalè et Blédja de manière grotesque. Ces derniers semblent sortir d’un autre livre. Plutôt que de parler de roman, ce texte relève plus d’un recueil de chroniques sur Guéwié. C’est un moyen pour l’auteur pour faire la satire sociopolitique. Hélas, l’auteur ne réussit pas à construire une tension narrative, il aligne des séquences hétérogènes et désarticulés.

Par ailleurs, le chapitre IV, intitulé Les hommes-lampadaires, est le lieu par excellence où l’auteur montre son talent de théoricien. Il y développe une typologie conceptuelle, opposant les hommes-lampadaires (éclaireurs) aux hommes-essuie-glaces (figures pulsionnelles et déviantes, qui ne passent leur temps qu’à se masturber), dans un langage abstrait et pédant. Blalè surgit alors comme une figure poético-philosophique amoureuse d’une jeune fille du système. Mais l’amour ici n’est pas un moteur de récit ; c’est un prétexte à encore plus de poèmes. Or le récit aurait plus gagné avec une langue poétique qui détourne le mot, au lieu d’une compilation de vers.

Il faut pourtant reconnaître quelques moments de grâce dans ce chaos discursif. La scène de la démolition de Guéwié, où les bulldozers détruisent même les tombes, atteint une intensité émotionnelle rare dans le livre :

« Couchée à même une tombe, la femme, la cinquantaine, pleure des cordes. Ce sont les ustensiles qui l’entourent, objets usuels de la vie quotidienne, qui arrachent à Blalè ce qui est un début de larmes. Il se retient. Un homme-lampadaire, ça ne pleure pas…

_ Chef, on dit qu’ils cassent les maisons, les églises, les mosquées, les boutiques et même les tombes. C’est vrai ? » (P.148).

Mais il ne faut pas très vite s’en réjouir, car, là encore, l’émotion naissante est vite recouverte par des vers tout nus. Il semble que Guébo n’arrive pas à conférer à ses scènes une certaine force brute et préfère toujours les enrober, les rhétoriser.

De plus, l’incohérence atteint son paroxysme quand les voix narratrices se confondent. Il arrive de ne pas savoir qui parle. À ce chaos, s’ajoutent une longue suite de structures phrastiques bancales (« Secoué par l’émotion, Viepp l’est », p.101).

« L’image du cadeau empoisonné est celle qui lui paraît, dans un premier temps, convenir aux stupéfiants » (P. 44).

On n’aura pas de ‘’dans un second temps’… Puis, à force de lire « À Guéwié » partout, cela devient un tic narratif épuisant pour la lecture. Pour finir, l’auteur prend le lecteur pour un tonneau vide. Il lui explique tout, même ce qui devrait s’incarner dans les dialogues. Page 10, après avoir dit que « le conducteur, lui, ne sera pas d’humeur à polémiquer », l’auteur, pour s’assurer que son lecteur a bien compris, rajoute : « Il s’exprimera en phrases minimalistes. » On n’a même pas le droit d’interpréter une intonation. L’auteur mâche tout, digère tout à notre place et nous sert les résidus.

Avec Les bulldozers n’aiment pas lampadaires, Josué Guébo échoue une fois de plus à s’imposer comme un romancier talentueux.

Erick Digbé

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