Nkonu, E. (2020). Amanfro: A Twine of Love & Adversity. Fine Precision.
Amanfro: A Twine of Love & Adversity est un roman intrigant. Emmanuel Nkonu se propose de peindre la traite des Noirs à travers le prisme du conte. Il entend raviver certaines pratiques traditionnelles qui ont été menacées d’extinction après l’introduction de la traite en Afrique. À cet effet, l’œuvre aborde des thèmes tels que l’animisme, la modernité et ses conséquences et la résistance à la modernité tout en critiquant certaines pratiques culturelles propres aux Africains.
Le texte est écrit en prose standard. Il est divisé en trois parties. La partie intitulée, « Dutᴐzã », constitue une introduction aux deux autres parties intitulées, « The Raid » et « A Journey of Fate ». À la page de dédicace se trouvent des citations en anglais, en latin et en allemand. Cela témoigne de la volonté de l’auteur d’ancrer son ouvrage dans un contexte de rencontre de cultures. Dans cette partie liminaire du texte, Nkonu met déjà en exergue des réalités religieuses et philosophiques. Partant des concepts de « choix » et de « réincarnation », il se prononce sur la question relative à l’essentialisme et l’existentialisme. Pour lui, le destin est à accepter, mais il peut être redéfini. C’est ainsi que Nkonu choisit de traiter du sujet de la rencontre entre les cultures européennes et africaines tout en préfigurant le choix que son personnage principal aurait aussi à faire.
Sur le plan stylistique, Amanfro: A Twine of Love & Adversity, écrit en anglais, regorge de termes et expressions de la langue Éwé. Cette pratique qui consiste à inclure des mots issus de langues africaines est caractéristique des œuvres de la littérature africaine dite postcoloniale. Bien que la majorité des formules Éwé ne sont pas traduites, le lecteur anglophone n’éprouvera pas de difficultés à saisir le sens global du texte. En outre, la volonté de Nkonu de préserver certaines pratiques linguistiques propres aux Africains est notoire. À l’instar d’Ama Ata Aidoo et de maints auteurs africains, son usage de la langue anglaise revêt, dans une certaine mesure, une forme d’oralité. Nkonu n’écrit pas en anglais : il se sert de l’anglais pour transcrire certains dires et adages en Éwé et des propos imagés. À titre d’exemples, on trouve « When the shadow was twice the height of ma » (p. 31), « The first rays of the morning sun invaded his territory » (p. 35), « Her mind is always far from her » (p. 40), « You know where to sit » (p. 41), « If you see a toad in broad daylight, you can be sure there is something after its life » (p. 41), « It was dark but the moon had not yet come to the house of her fiancée » (p. 49). Ces phrases donnent au roman un caractère de conte traditionnel.
En effet, le texte raconte l’histoire de la création de la ville d’Amanfro. L’histoire est racontée par un narrateur ou une narratrice anonyme qui ne fait que traduire les propos du conteur Afetᴐ Ɖumangama. Ce faisant, de l’introduction à la première partie s’opère une transition du narrateur au narrateur-conteur. Là, le texte évoque, dans une certaine mesure, le rapprochement que Walter Benjamin a fait entre le conte et la traduction : « La traduction serait sur le plan langagier ce qu’est le conte sur le plan narratif » (Nouss, 2003). Ici, il y a même une fusion des deux pratiques : l’histoire est à la fois écrite et traduite. Aussi, dans un effort d’étayer l’idée du genre du conte dont le texte relève, Nkonu met-il en relief un fait qui est propre à ce genre : celui de l’expérience du conteur et de l’environnement dans lequel le conte se fait. Un conte est un texte qui subit des répétitions mais qui produit différents effets selon les « compétences » du conteur.
L’histoire contée est celle du festival Dutᴐzã, (le festival de trois pays). Il est célébré en rotation par trois pays, Amanfro, Lawudzi et Gugumagu, unis tant par l’amour que par l’adversité. Le contact entre les Européens et les Africains, au-delà de la zone méditerranéenne, a engendré beaucoup de faits dont la traite négrière. Les prospectives de ce commerce transformèrent des amis en ennemis ; « The trade became so lucrative » affirme le narrateur-conteur. Quand les habitants de Lawudzi sont devenus envoûtés par ce commerce, ils se retournent contre leurs anciens amis de Gugumagu. De leur conflit est né l’union entre Dzitᴐwosi et Sena, le premier appartenant à Lawudzi et la seconde à Gugumagu. Blessé, Dzitᴐwosi se trouve en proie à la mort. Le choix concernant sa survie est désormais dans les mains de Sena. Aurait-elle voulu que les Européens ne soient même pas présents dans ce monde pour que leur arrivée et leur civilisation ne la mettent pas dans une telle situation ?
La narration fait penser à ce que Mbembe (2006, p. 109) appelle un « petit secret » et qu’il définit comme étant un « pouvoir d’enchantement » dont les Européens se seraient servis contre les Africains. Selon lui, les Africains s’étaient fait inculquer par les Européens « l’idée qu’il n’y a aucune limite à la richesse et à la propriété, et donc au désir. » (2006, p. 109). Des phrases telles que « The white people had brought along certain items that fascinated our forefathers a lot » et « A small piece of mirror could attract a fistful of gold from a dazzled chief » (p. 17) montrent que Nkonu ne se contente pas de narrer tout simplement un fait historique par l’entremise du thème de l’amour. Il invite le lecteur à s’interroger sur la responsabilité des Africains dans la pratique de ce commerce et dans tous les autres événements qui ne cessent de découler de ce contact. Sans aucun doute, par ses créations intrigantes, comme le personnage de Sena et la ville d’Amanfro, Nkonu interpelle nos consciences et nous rappelle qu’il appartient à chacun de choisir son destin.
Nkonu fait preuve d’une maîtrise de l’art du conte. Bien qu’il ne soit pas créé pour jouer un rôle actif dans le déroulement des actions, le personnage mythique, le « fabled dwarf », de cet art figure dans le texte. Le lecteur est quand-même éduqué sur le rôle que ce personnage joue souvent dans les contes. Nkonu est certainement un grand lecteur de littérature africaine. Son texte rappelle le célèbre vers de Birago Diop : « Les morts ne sont pas morts. » Dans ce monde tiraillé par les crises de la modernité, il conseille que les ancêtres africains, à l’instar des « témoins » dont parle l’Apôtre Paul dans le livre des Hébreux (chapitre 12 verset 1), observent la reconstruction que leurs descendants font de leur destin grevé par l’adversité de la culture européenne. Pourtant, je doute fort que le type de reconstruction qu’il propose fasse l’unanimité.
Rashidi Ogunmola
Références
Mbembe, A. (2006). La colonie : son petit secret et sa part maudite. Politique africaine, 102(2), 101-127.
Nouss, A. (2003). Le conteur comme traducteur. Dans J.-B. Martin & N. Decourt (dir.). Littérature orale. Paroles vivantes et mouvantes. Presses universitaires de Lyon. https://books.openedition.org/pul/11585.
Commentaires récents