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Coeur du Sahel, Djaïli Amal Amadou (2022)
Devious maids au coeur du Sahel !
By Gangoueus Posted in Cameroun, Gangoueus, Roman on 30 mai 2022 0 Comments
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Coeur du Sahel, Djaïli Amal Amadou
Editions Emmanuelle Collas, Proximité, 2022
« Cette fille est notre domestique. Elle vient de la montagne. Une kaado qui ne s’est même pas islamisée. C’est ça que tu veux épouser ? C’est ça, la future mère de tes enfants ? »  (p.283)
J’ai terminé cette semaine le nouveau roman de Djaïli Amal Amadou. Coeur du Sahel est le quatrième roman de cette écrivaine qui a construit son oeuvre littéraire depuis le Cameroun avant que le Prix Orange du livre en Afrique augmente la visibilité de son travail après la consécration du roman Munyal, les larmes de patience. Une édition en France de ce roman sous le titre Les impatientes (1) par Emmanuelle Collas a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens. Coeur du Sahel, son nouveau roman est à la fois publié aux éditions Proximité (Cameroun) et Emmanuelle Collas (France).

Expédition au coeur du Sahel camerounais

Je dois dire que c’est une expérience de lecture intéressante pour l’amateur de bons textes que je suis. J’aime voyager. J’aime les romans qui m’incitent à voyager, à découvrir des réalités insoupçonnées, dans des espaces qui ne sont pas les premières directions auxquelles je pense. Avec Munyal, les larmes de patience, Djaïli Amal Amadou m’invitait déjà à une expédition au coeur des grandes concessions familiales des notables peuls de Maroua, dans l’extrême nord du Cameroun. Quand j’y pense, le Cameroun a hérité d’un découpage particulier lors du partage de Berlin. Les réalités de Maroua détonnent avec les atmosphères qui caractérisent Yaoundé ou Douala quand je lis Hemley Boum, Max Lobé ou Patrice Nganang. C’est cet univers que décrit Djaïli Amal Amadou au travers d’histoires de femmes, subissant le patriarcat traditionnel dans cette aire culturelle. Dans Coeur du Sahel, elle nous raconte les histoires de coeur des servantes dans ces grandes concessions. Ces femmes de ménage travaillent dans cette grande ville de la région. Elles viennent de l’arrière-pays, du même village et elles s’organisent pour garder les « contrats »  au sein de leur communauté installée à Maroua. Faydé va être le personnage qui va servir de charpente à ce roman.

Faydé, la « trouvaille »

L’histoire commence dans un contexte rural, pauvre dans un petit village dans la région de l’extrême nord. En fait l’histoire, commence à Maroua, mais je n’en dis pas plus. Faydé travaille et aide sa mère dans le développement d’une terre agricole soumise aux aléas du climat et dans un contexte de razzias opérées par les troupes de Boko Haram. Le père est porté disparu. Le contexte en toile de fond est particulièrement violent.
« C’est seulement depuis quelques mois qu’on entend parler  de troubles,  d’inconnus qui massacrent les éléphants dans la brousse, ce qui est étrange. Puis on s’est mis à parler de « guerre sainte », de djihad mené par ceux  qui se souviennent des souffrances des peuples autochtones chassés des meilleures terres, obligés de se réfugier dans les montagnes, parfois  réduits en esclavage au nom d’Allah, personne ne pouvait s’attendre à ce que , plus d’un siècle plus tard, loin de ces montagnes, au nom du même Allah on attaque le village pour piller les récoltes, emporter  le bétail, tuer les réfractaires et kidnapper au passage des jeunes hommes, des filles et des enfants »  (p.37)
Certaines amies du même âge de Faydé ont quitté le village pour Maroua afin de gagner leur vie et aider la famille restée au village. Elles reviennent régulièrement et finissent par persuader Faydé de les rejoindre. La description de cet épisode est touchante. Il met le lecteur face au désarroi de la mère qui espérait que sa fille échapperait à cette destinée qu’elle a connue dans le passé. Elle espérait des études pour sa fille aînée. Faydé était une bonne élève, mais faute de moyen, elle a dû être déscolarisée. La mère de Faydé a connu cette expérience dans ces familles de notables peuls. Elle en a connu les affres. Surtout, pour cette femme seule, comment s’en sortir sans Faydé, en l’absence de son homme ? Par Faydé, donc on entre dans deux communautés. La première est celle des servantes, les « kaddo ». Et les instructions sont très claires. Il y a des lignes Maginot à ne pas franchir. Des rôles à respecter. Il n’y a pas d’amitiés, de familiarités possibles avec les employeurs. Au risque de mettre en péril un emploi. On peut parler de castes. Djaïli Amal Amadou décrit les différents d’employeurs : les notables peuls, les gadamayo (pour désigner les sudistes en poste à Maroua), les nouveaux riches ou encore des membres de leur communauté « habbé » qui ont une situation. Les postures avec les domestiques varient en fonction du profil des employeurs. Faydé apprend le métier rapidement et gère les contrariétés de l’emploi avec plus ou moins de facilités. En se méfiant de ne pas tomber sous l’emprise d’un homme dans la concession.

Les amours interdites

Dans la case où elles se retrouvent Faydé et ses amies repassent les contraintes du travail mais aussi les tares de celles et ceux qui ne les voient pas, mais les exploitent. Elles papotent sur les infidélités ici, les conflits là. Elles prennent du bon temps aussi à leurs heures perdues. Il y a un côté Devious Maids, la série tv  de Mark Cherry mettant en scène des femmes de ménage hispaniques au service de riches familles californiennes. Mais Maroua a ses spécificités. On découvre la ville, ses points d’attraction où les filles peuvent avoir un rencard ou simplement prendre un verre. C’est d’autant plus étonnant que les femmes des concessions ne sortent pas. Les servantes héritent donc du mépris de leurs maîtresses musulmanes. Les alliances familiales peules interdisent toute union avec les jeunes filles de leur condition. Même si les hommes n’hésitent pas à abuser de ces derniers de manière brutale, par le viol, de manière plus douce par une relation d’amour sans issue. C’est la relation dans laquelle se retrouve embarquée, Faydé.

Mon avis

Comme je l’ai dit, de manière très astucieuse, Djaïli Amal Amadou parle de la société de Maroua avec un regard très critique sur sa propre communauté. La condition des femmes, qu’elles fussent kaddo animiste ou chrétienne, qu’elles fussent peules musulmanes, est le sujet que l’écrivaine aborde avec celle de l’instruction. Et le fait que tout est possible. Le roman échappe à tout manichéisme. Même si les hommes sont dans l’ensemble lâches et hypocrites. Je pense à Mariama Bâ dans la manière avec laquelle l’écrivaine sahélienne camerounaise traite son sujet avec finesse. On ne peut pas l’accuser d’écrire à charge contre un groupe. De plus, la montée de la tension liée à Boko Haram, suite à des attentats à Maroua montrent aux Camerounais comme au reste du monde le climat de terreur qui a régné (et continue de régner ?) dans le nord du pays. C’est aussi une histoire des mouvements migratoires internes (exode rural) où les citadins n’ont pas idée des conditions de vie dans la région. Vous comprenez que j’ai lu ce roman d’une traite, un texte  écrit de manière limpide, sans sophistication inutile mais avec beaucoup d’efficacité. Un roman plein d’espoir où Djaïli Amal Amadou regarde avec beaucoup de tendresse, d’empathie les petites gens de Maroua en posant indirectement la question de la hiérarchisation de cette société, quelque part au nord du Cameroun.
Gangoueus
(1) Le roman Munyal, les larmes de patience édité par Proximité au Cameroun a obtenu le 1er prix Orange du livre Africain. La maison d’édition Emmanuelle Collas a publié ce livre sous le titre Les impatientes, avec quelques adaptations et un travail d’édition complémentaire.
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