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Al Shabah - Khalil Diallo (2025)
La question de la justice posée sur la table, mieux dans un roman...
By Jean Noel De Koigny Posted in De Koigny, Roman, Sénégal on 5 juillet 2025 0 Comments
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Al Shabah, Khalil Diallo
Editions Eburnie, 2025

Cher Bernard Dadié,

Je suis bien rentré à Bouaké ; à part ma prochaine rencontre avec la grande histoire, rien de plus agréable. Hier soir, j’ai dîné avec Citronnelle, une prostituée de l’hôtel, puis, alors que je m’apprêtais à regagner ma chambre, Citronnelle m’a demandé si je voulais fumer la nuit entre ses jambes. J’ai répondu non. Elle a demandé pourquoi ? J’ai murmuré que la littérature m’attend, et je suis allé poursuivre la lecture d’AL SHABAH, le nouveau roman de Khalil Diallo.

AL SHABAH est une œuvre remarquable qu’on pourrait brandir pour témoigner des ambitions et du talent littéraire de cet écrivain sénégalais. Il y a dans ce livre un charme puissant qui s’explique par la belle manière de dire et d’interroger les vérités de la condition humaine.

L’histoire commence en 2021, à Abidjan. Un jeune écrivain est au Salon International du Livre d’Abidjan (SILA) « pour défendre » son premier roman. « À la fin de la première journée », alors que ce jeune écrivain « marchait sur les bords de la lagune Ébrié », surgit des ténèbres, devant lui, « Heberto, l’écrivain le plus insaisissable de la littérature contemporaine », avec qui il entretient depuis des années « des échanges épistolaires ». « Pourquoi m’attends-tu ? », demande Heberto. Le jeune écrivain répond : « Pour découvrir ton art, pour m’en servir et m’aguerrir ». Alors, Heberto, comme pour initier le jeune écrivain, se met à lui raconter une histoire… « Il était une fois… », AL SHABAH, un « mystérieux justicier » à Dakar, voulait redresser « les torts du passé » ; il s’en prend, par « une série de gestes sanglants », aux élites corrompues du pouvoir, en ornant les corps déchiquetés de symboles occultes. Le commissaire Mame DIOP, qui est chargé de mener l’enquête, devient très vite l’antagoniste de l’ombre, et, dans sa quête pour résoudre le mystère, il se heurte à une réalité crue où s’entremêlent les traditions ancestrales, les problèmes de gouvernance, la corruption, la violence policière… Mame DIOP, « le commissaire respecté, l’enquêteur brillant », finit par être accusé d’être « le tueur qu’il pourchassait depuis des mois ». « Il fut condamné à mort, pour l’exemple. » (P.217). « Il profita, un matin où il se promenait dans l’enceinte de la maison d’arrêt de la capitale, d’un moment d’inattention d’un de ses geôliers, s’empara de son arme de service, et se suicida ».

AL SHABAH se lit comme une réflexion sur la justice, l’impunité, l’idée du bien et du mal, et surtout la littérature ; ce roman polymorphe interroge aussi la place du citoyen face à un système défaillant dans lequel chacun semble condamné à lutter. Malgré ses crimes, AL SHABAH, le justicier, est le symbole de la justice qui échappe aux mains des autorités.

« La frontière entre le bien et le mal, entre la justice et la vengeance, est souvent plus floue que nous ne le pensons… Le tueur, par ses actes, me force à réfléchir sur la nature de la justice, sur ce que cela signifie vraiment d’être policier. Sommes-nous des gardiens de l’ordre, des protecteurs de la société, ou des instruments de vengeance légale ? » (P.83).

Dans ce roman noir, tout s’enchaîne : enquête, tragédies humaines, avec, en toile de fond, la puissance de la création littéraire.

Khalil Diallo excelle dans le renouvellement des scènes, tour à tour épouvantables, tristes et drôles… On pense, très rapidement, en le lisant, à La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr ; mais ce dernier, à la différence, écrit avec sérénité en nous faisant oublier le présent. Ce qui n’est pas tout à fait le cas de Khalil Diallo, qui ne se donne pas le temps ou la peine (c’est selon) de tamiser ses idées et qui accepte avec célérité toutes celles qui lui viennent en se répétant comme un diable qui écrit un poème. « Il questionnait son rapport à la scène de crime qui lui donnait un air de déjà-vu. Comme s’il avait été sur ces lieux, qu’il avait déjà vu ces corps. » (P.81). « Les scènes de crime lui donnaient toutes un air de déjà-vu. » (P.89). « Il y avait quelque chose de familier dans ces scènes de crime, comme s’il les avait déjà vues auparavant. » (P.189). « Le soleil de fin d’après-midi baignait les bâtiments d’une lueur orangée » (P.157). « Le soleil couchant embrasait le ciel, peignant les nuages de teintes orangées et pourpres » (P.158), ou encore, « Les rues de Dakar étaient plongées dans un silence lourd.» (P.187) « Les rues étaient désertes, plongées dans un silence oppressant. » (P.190). Et les contradictions… Page 87,  Mame DIOP est un « fameux lecteur de Nietzsche ». Page 116, Mame DIOP « était allergique à toute forme de littérature ou de livres. Il ne supportait même pas les livres policiers… La lecture, c’était pour les branleurs. »

Malgré ces chicanes, qui causent absolument du tort à la prose de Khalil Diallo, je suis heureux de pouvoir, sans manquer de franchise, recommander AL SHABAH comme un récit intéressant ; car on ne peut le quitter qu’après l’avoir achevé : c’est là sans doute un mérite considérable, mais qui, hélas ! ne saurait classer AL SHABAH parmi les précieuses œuvres littéraires africaines.

Au revoir, mon vieux. Je reste ton petit-fils chéri.

De KOIGNY.

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