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By Gangoueus Posted in Gangoueus, Roman, USA on 11 avril 2019 0 Comments
J’ai eu le plaisir d’écouter Percival Everett, il y a quatre mois à une Palabre autour des Arts, un concept de rencontres littéraires sur la place parisienne. Grand romancier américain, avec le public amateur de littérature de ces palabres, le temps d’une soirée où le thème était était le vent de la révolte. Le supplice de l’eau était le roman pour lequel il s’est prêté au jeu risqué des questions-réponses. Entre nous, cela faisait des années qu’il était sur la liste des auteurs à découvrir depuis que Guy, mon bon pote helvète, m’avait fait un topo plus qu’élogieux du roman Effacement de l’auteur américain. Je n’ai pas hésité à me lancer dans les méandres de sa prose cette fois-ci. La trame du roman Le supplice de l’eau est la suivante:
Après l’atroce assassinat de Lane, sa fille unique, âgée de 11 ans, Ismaël Kidder a décidé de tenir pour coupable du crime. Dans le sous-sol de sa coquette maison de romancier à succès où il était séquestre à l’insu de tous, il était soumis à la torture…
4ème de couverture, éditions Actes Sud.
Tout est réuni pour avoir droit à un glauque romain. La narration commence quand Ismael Kidder, un brillant romancier explique avec froideur des actes de torture et des actions auto-justifiées, qu’il a essayé avec ferveur. Il écrit des romans à l’eau de rose pour se faire de l’argent. Il est divorcé. Sa fille a été effroyablement assassinée.
Les fragments de prose proposés par Everett permettent de retranscrire la pensée d’Ismael Kidder en divers short cuts. Dans ces différences séquences, on découvre la réflexion élaborée où il revisite les constructions philosophiques de Platon, Heraclite, Socrate ou Xenon. Notre homme maîtrise son sujet et que ce soit tant dans l’interaction avec son attaché de presse pour faire face au shérif du coin paumé où il réside. L’homme est intéressant. Il a un mot sur tout. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans les développements pompeux du narrateur en début de roman, puis le lecteur se met à sa hauteur en intégrant que c’est une composante importante de ce personnage. Ses élucubrations. Car, pendant que notre homme argumente dans son salon, dans sa cave, un autre homme appréhende avec angoisse le retour de son tortionnaire. Ce dernier s’emploie dans cette démarche avec autant de talent et d’érudition que lorsqu’il papote sur Kierkegaard, défend son athéisme, évoque le militarisme américain, ou papote de nouveau sur Thalès.
Tags: Instruction, Héritage philosophique grecque, démocratie, barbarie, torture, motivation marchande
On pourrait avec naïveté se demander comment autant d’instruction, de compréhension de concepts fondateurs de la pensée occidentale cohabitent-elles avec le sentiment aussi primaire de se faire justice soi-même, de rendre à cet individu qu’on ne nomme pas, au départ, la violence non seulement que sa fille a subie, mais aussi de la destruction de tout l’univers qu’il a bâti. Au fil des pages, et de la narration de Percival Everett, le lecteur est obligé de dépasser la condition de ce tortionnaire, de ce père brisé, de cet intellectuel imbu de son savoir devenu une forteresse carcérale.
Ismael Kidder, est une figure représentant ce que sont devenues les Etats Unis d’Amérique depuis le 11 septembre 2001. USA, porte-étendard de la démocratie envers des peuples primitifs incapables de comprendre le fondement de la pensée grecque qui inspire les modèles politiques américains et européens. Ces Etats Unis qui dans la cave de leur système mirifique, dans des prisons secrètes, à Abou Graib, à Cuba (Guantanamo) produisent la contraposée de leurs valeurs et délivrent une barbarie qui finalement en dépit des mots, du savoir, de l’enrobage que l’on peut lui donner n’a rien à envier à nombres de systèmes totalitaires de par le monde non civilisé. Peut-être le lecteur que je suis noirci le trait, mais Percival Everett pousse par la réflexion, et les faux questionnements de Kidder, à certaines déductions. A ce propos, l’universitaire n’hésite pas à situer là son engagement dans une société qui est la sienne.
Ce livre interpellera celui qui a envie de se poser des questions. La philosophie n’a pas été prétendue répondre aux questions, mais par la suite, a encouragé leur dépôt sur la table de notre réflexion. Ismael Kidder est un produit monstrueux de l’Amérique moderne. Un produit sur lequel on a vite fait de réduire les circonstances. Après tout, sur un sauvagement tué sa fille. Alors que jette son dévolu sur le premier ministre, il serait potentiellement coupable, est secondaire. Il y a une forme d’anticonformisme chez Everett qui me parait intéressant car il ne semble pas être le fruit d’une posture, mais d’un questionnement et d’une insurrection interne à ce que devient son pays, fier et arrogant, avant tout schizophrène.
Le supplice de l’eau n’est pas le genre de bouquin pour lequel on doit s’attendre à une publicité. Il cogne trop dur. Il a été identifié comme il doit être mérité, mais il doit également être traité de manière différente sur ses autres aspects et ce qui a été passé à l’italien, en passant par un pamphlet.
Mots-clés: Thomas Jefferson, Abou Ghraib, la schizophrénie, Ismael Kidder, Guantanamo
Le salon : Lieu de rencontre et de partage autorisé avec une nécessité de contrôler tous les moyens pouvant lever son masque. Il est intéressant de constater que si le salon est un lieu de réception, d’échange avec une certaine forme de liberté, la cave traduit elle l’absence de dialogue et la volonté de nier l’échange. Le corps de la victime n’étant que le champ d’expression de la colère.
La cave : Lieu d’expression de la folie du prédateur sans aucune once de remord et de culpabilité. La possibilité que sa victime ne soit innocente n’est certainement pas handicapant. Le champ de la démence.
L’homme public : Intellectuel reconnu, solitaire, frustré condamné à produire des textes qui se vendent mais qui ne correspondent pas à l’envergure de ce qu’il peut produire. Dédoublement et fausseté
L’homme privé : Père blessé, homme divorcé. L’assassinat de sa fille brise le peu qui reste de son existence. La soif de vengeance a pour objet de combler le vide créé
Ce qui constitue la frontière étanche entre les deux mondes d’Ismael Kidder, c’est son savoir, son érudition, sa capacité, sa faculté à détourner un regard par la pertinence de son système de pensées. La construction de son schème est difficile à démonter. Percival Everett permet au lecteur de son roman de s’extraire de son nid douillet et, au travers d’Ismael Kidder, de ses façades, de ses exposés philosophiques élaborés et de ses zones d’ombre, de voir l’Amérique pour ce qu’elle est. Un état schizophrène, capable d’énoncer les valeurs les plus humanistes possibles et perpétrer au nom de ses valeurs, les plus vils crimes, sans aucun état d’âme.
Le romancier joue très bien de ses variations subtiles du personnage et je vous proposerai l’échange suivant de cet écrivain avec son agent littéraire.
Tag: Duplicité, âme, vengeance, grotte, corps, esprit, pharisaïsme, torture, dissimulation, rhétorique
Inversion des rapports. Que l’on découvre dans le final. La question dermique est très peu présente, ou plutôt s’invite subtilement sur la fin du roman sans être une composante importante, mais là encore, Percival Everett déconstruit.
Il y a une distorsion entre les valeurs prônées et les moyens pour les sauvegarder.
Ayant choisi de fragmenter son roman, avec des chapitres très courts, il laisse une polyphonie s’y développer sans qu’on soit toujours à même d’identifier les voix en je. Celle d’Ismael Kidder est dominante. Mais, il y a également des propos confus où il appartiendra au lecteur d’en comprendre le sens et de le traduire et surtout d’identifier l’émetteur.
Tag: Reggie, Ismaël, Jésus, Le choc des civilisations
C’est un roman difficile d’abord. Comme je l’ai dit au début, l’érudition affichée du personnage, le déploiement de ses connaissances sur les grands philosophes grecs et surtout de leurs systèmes de pensées a quelque chose de rébarbatif. Percival Everett éprouve son lecteur ainsi comme Ismael repousse les assauts de son attachée de presse, inquisitrice à raison. Une fois qu’on intègre les analyses complexes du narrateur qui permet de montrer l’étendue de son savoir, on comprend au fil des pages de cette démarche complètement pensée et non pas présent.
Percival Everett, Le supplice de l’eau
éditions Actes Sud, 244 pages
traduites en anglais par Anne-Laure Tissut, Titre original
Crédit Photo © Bruno Nuttens / Actes Sud
Voir l’intervention de Percival Everett à propos de ce roman aux Palabres autour des arts en mars 2013.
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