Florent HOUNDJO, Soixante-neuf (Roman),
Savanes du Continent, Cotonou, 2020, 217 p.
Bonjour Gangoueus !
J’aimerais aujourd’hui te parler d’un roman qui fonctionne comme une pièce théâtrale. Un roman construit fondamentalement avec deux personnages aux profils différents. Deux personnages principaux que le hasard a fait se croiser sur la vaste prairie de l’existence et qui, pour s’exorciser et se noyer l’un dans l’autre, se racontent leur vie et leurs plaies, à l’instar de Aïcha et de son époux dans Numéros matricules d’Okri TOSSOU. Celui-ci j’espère que tu le connais ou au moins en as entendu parler, puisqu’un peu comme Soixante-neuf, il te rappellera sur le plan structurel Johnny chien méchant d’Emmanuel Dongala. Mais contrairement au théâtre, cher Gangoueus, ici, ce qui est en italiques, ce sont les tirades homodiégétiques. La didascalie produite naturellement à la troisième personne étant faite en graphie normale et jouant son rôle de présentateur de l’évolution de l’espace-temps, de la description des personnages et de leurs états d’âme. Voilà pour la structure du roman. Maintenant, pour ne pas bavarder inutilement, place à l’histoire.
Tu t’appelles Gros-Cœur, Gangoueus ! Tu t’appelles Gros-Cœur. Drôle de nom n’est-ce pas ? Eh bien, sache que ce surnom, tu l’as obtenu quand tu avais à peine deux ans. Et, lors d’une fête de Noël, pendant que les enfants du quartier de ton âge pleuraient à chaudes larmes parce que terrifiés par un personnage qu’ils n’avaient jamais vu, un personnage à l’accoutrement aussi insolite que celui de Papa Noël, il y avait un seul môme qui, lui, était imperturbable. Intrépide. Ce môme riait, était amusé par la bizarrerie grotesque qu’incarnait Papa Noël. Mieux, il était allé jusqu’à tirer les ficelles de son masque pour voir qui était en dessous de l’accoutrement clownesque. Pour un enfant de cet âge, c’était extraordinaire, surtout quand on sait que tous les autres mômes présents hurlaient et suppliaient leurs mamans de les emmener loin de cet homme effrayant. Si extraordinaire que ces mères ayant suivi la scène, déclarèrent : « Cet enfant n’a pas un cœur de son âge. Il a un gros cœur ». Cet enfant, comme tu t’en doutes sûrement, c’était toi Gangoueus ! C’est ainsi que tu as gagné ce surnom de Gros-Cœur qui te suivra partout et toute la vie et effacera même ton vrai prénom de naissance : Romaric ; celui qui correspond à ce 10 décembre du calendrier grégorien où tu es né, dans les années 80.
Maintenant tu es né en atterrissant comme tout le monde dans une famille, qu’en est-il de cette famille ? Je te préviens. C’est ici que commence la partie la plus douloureuse de l’histoire. Je te suggère donc de t’asseoir si tu es debout et de boire une dose de courage pour la suite. Mais avec ton cœur si gros, je suis sûr que tu encaisseras.
Tu es né dans une famille béninoise très conservatrice, très intransigeante et très rigoriste en ce qui concerne les coutumes ou traditions ancestrales. Cette tradition dit que le mari se doit d’être hyper phallocrate et le montrer dans tout son habitus en observant strictement les préceptes ancestraux à tous les niveaux tels qu’ils fonctionnent depuis des milliers d’années. Les femmes, elles, doivent rester à leur place, c’est-à-dire à la cuisine et dans les petites tâches notamment. Elles ne doivent en aucun cas permettre que leurs époux s’éprennent trop d’elles. Non, elles doivent les laisser s’occuper des affaires communautaires et respecter la tradition, strictement, loin de toute romance conjugale aux senteurs de Roméo et Juliette qui friserait une gbɔtémisation du mari. Ton père, Tassien Houindomabou, un agent du ministère des finances, a failli à ce devoir. Il était conscient des enjeux et quoique polygame, aimait néanmoins un peu trop ta mère, l’adorait et la chérissait. Ta mère qui, première trahison, n’est même pas de la communauté Houindomabou. Ton père l’aimait quand-même comme un fou, lui chantait des sérénades à longueur de journée et montrait à la face du monde qu’ils sirotaient le grand amour parfait. Chaque acte et chaque mot de romance posé ou lancé à ta mère était comme une braise qui brûlait le cœur des bastions de la communauté qui, après de nombreuses menaces infructueuses, finit par considérer que leur fils, Tassien Houindomabou, était perdu, dévoyé, lobotomisé et transformé par une femelle inconnue venant d’un peuple inconnu. La punition, comme tu l’imagines, sera sans appel. Tassien avait trahi. Car
« c’est trahir que de renoncer aux valeurs salvatrices ancestrales édictées depuis des millénaires et qui ont toujours consacré l’identité et le bonheur de tous les enfants Houindomabou. C’est trahir que d’épouser une femme qui n’appartient pas à la communauté Houindomabou ni aux autres peuples mitoyens et voisins avec lesquels la possibilité de brassage a été exceptionnellement autorisé par décret ancestral. C’est trahir que de prendre pour femme une personne dont la famille ne connait de dieu que l’image d’un pauvre Yovo suspendu sur un assemblage de bois ».
La punition sera violente, impitoyable et impossible à justifier. Ton père mourra mystiquement dans un accident de circulation. Un accident tragique dont les images sont inqualifiables :
« Le véhicule avait sombré tout seul, totalement cabossé, irrécupérable, les quatre fers en l’air. De mon père, ce qui en restait, je ne dirai mot ».
La sanction en réalité, cher Gros-Cœur Gangoueus, n’était pas pour ton père, c’était pour ta mère. Elle était pour ta mère car c’est elle « la provocatrice », « l’épervier », « l’oiseau rapace qui leur avait ravi leur fils ». Ton père n’avait donc fait que recevoir une balle perdue car en Afrique, tu sais, l’aura de certaines personnes se révèle parfois plus résistante que pour d’autres.
Ton père mort, une autre bataille s’enclenchera immédiatement : où va-t-on enterrer le corps ? Dans le giron familial selon les rites traditionnels des Houindomabou ou selon les rites de la communauté religieuse catholique à laquelle appartiennent ta mère, sa famille et les collègues de ton père ? Les mêmes qui ont assassiné mystiquement ton père vont livrer une impitoyable bataille occulte contre l’Eglise pour « entrer en possession » du corps. Le DG, le chef hiérarchique de ton père, sera le premier à recevoir les balles mystiques. Celui-ci va découvrir dans son bureau
« un couple de cobras noirs, l’un confortablement installé sur le bureau, prêt à l’attaque ; l’autre allongé sur les câbles électriques, à l’extrémité du plafond, la tête orientée vers la porte d’entrée. (…) Le curé, lui, la veille des adieux, perdit le contrôle de sa Peugeot 504 et heurta le grand manguier de la cour de l’église ».
Ont-ils eu la vie sauve ? Qui a remporté cette deuxième bataille ? Je te laisse le découvrir pour te faire ta propre lecture du roman.
Toujours est-il qu’après l’inhumation de ton père, ta mère, Dotou, se retrouva naturellement seule avec toi Gros-Cœur et tes grandes sœurs Houéfa, l’aînée et Monɖoukpè, la cadette. Tu es donc par la force des choses, le benjamin et le seul masculin de la fratrie. Avec le soutien de l’église et de votre oncle maternel Cisco, votre mère va trimer comme une forcenée pour vous élever seule pendant dix-huit ans. Pour protéger ses enfants, elle avait extirpé sa main de tout ce qui appelle le nom de votre père, Tassien, son mari. Tous les biens (pensions, immobilier et tout) qui devraient normalement lui revenir pour élever les enfants, étaient allés à la famille Houidomabou qui les avait confisqués juste après la mise en terre de leur fils. Dotou n’avait pas non plus voulu se glisser dans le lit protecteur, financier et conjugal de l’ami de son époux, le DG, qui cherchait, lui, à prendre en secondes noces la femme de son ami défunt. Puis, un jour, un matin aussi calme qu’un bébé qui dort, tu entras dans la chambre de ta mère pour lui notifier que le savon de bain était fini. Tu devais te laver pour aller à l’école. C’est là que tu fis l’affreuse découverte. Tu appelas ta mère mais elle ne répondait pas : Dotou était par terre. Inerte. Avec tes sœurs appelées à la rescousse, vous avez hurlé son nom à fendre le ciel, elle ne vous répondait pas et ne vous répondra plus jamais. Dotou était morte. Le SAMU vint embarquer le corps pour la morgue. De quoi est-elle morte ? Quel est ton état d’âme ? Tu as beau être Gros-Cœur, comment as-tu traversé et vécu cette deuxième tragédie ? Je te laisse lire Florent HOUNDJO pour voir comment il te peint, comment il vous a peints, vous qui venez de perdre le seul pilier qui vous reste de la famille et qui devez, vaille que vaille, bon gré mal gré, évoluer désormais seuls au milieu des yeux sorciers et dans une famille-pègre qui cherche à vous « manger ». Tu devais être en classe de Première, en train d’avoir dix-huit ans quand Dotou est partie.
L’église va prendre en charge la suite de vos études. Tes sœurs, grâce à une bourse, vont se retrouver au Canada. Étant le seul garçon, tu décidas de rester parce que chez vous, « on n’abandonne pas une maison. Il faut forcément quelqu’un pour assurer les arrières ». Un an après le décès de Dotou, te voilà avec ton bac en poche malgré les vicissitudes, et tu te retrouvas sur le campus en embrassant la faculté des Sciences juridiques et politiques, où tu feras une rencontre exceptionnelle, une rencontre du destin qui va entièrement bouleverser toute ta vie. La rencontre de ton premier amour : Yokossi.
Cher Gangoueus ! Je vais changer de cap maintenant pour te divertir un peu, ou pour te laisser souffler.
Voilà ! Il y a un truc au Bénin qu’on appelle le Mercredi-Rouge. C’est un mouvement insurrectionnel protestataire né, je crois, sous le deuxième mandat du président Boni Yayi. Un mouvement mort aujourd’hui mais qui, à l’époque, rassemblait les forces vives de l’opposition et principalement les jeunes pour dénoncer les exactions et les abus politiques en vogue sous le régime de la Refondation. Là, je ne te parle pas fiction. Je te parle de faits réels ayant ponctué le dernier mandat du président docteur. Des faits dont va se nourrir le deuxième volet de ce roman, Soixante-neuf.
Parce que toi Gros-Cœur Gangoueus, tu vois, si à l’entame Florent HOUNDJO te décrit comme Olympe Bhêly-Quenum décrit Ahouna à travers Houénou dans son roman-culte Un piège sans fin, c’est parce que tu étais comme un blessé de guerre, un grand acteur de la politique banni et ostracisé. Tu étais un vétéran, le responsable national de la jeunesse et du militantisme à la base au sein de la coordination du mouvement Mercredi-Rouge. Ce statut, tu l’as atteint grâce à Yokossi, à travers laquelle Florent HOUNDJO semble confirmer que derrière un grand homme, se trouve effectivement une femme de poigne. Car dès les premières heures de ton entrée sur le campus, cette autre république entièrement à part et part entière, laquelle république était en ébullition à ton arrivée en raison des allocations estudiantines non payées et autres motifs, dès ton entrée donc, c’est avec Yokossi que le destin t’a uni. Tu étais pris sous ses ailes fines et stratèges. C’est elle qui va t’apprendre comment on sur(vit) sur le campus ; et surtout, comment faire partie des leaders qui contrôlent la température sociale de toute la communauté universitaire. Yokossi ira encore plus loin : elle fera plus que te rendre maitre de l’univers du campus. Elle va t’élire souverain de son cœur en t’ouvrant la forteresse de son corps féminin où tu noyas et enterras à jamais ton état de puceau et de néophyte en matière de coït. Elle s’était offerte à toi, là, sur le campus, avec la nuit et le clair de la lune complice et les arbres comme témoins. Votre osmose venait ainsi d’être scellée. Et grâce à sa diplomatie, elle va te connecter à tous les grands réseaux importants de l’université. Et c’est ainsi que tu as gravi les échelons jusqu’à finir haut responsable de la jeunesse dans la coordination Mercredi-Rouge. Tu as découvert le monde politique, avec « ses avers et ses revers ». La naissance des grèves et des insurrections. Ce roman, cher Gangoueus, montre qu’elles ne sont jamais gratuites, jamais venues d’un ras-le-bol du peuple. Ce roman montre qu’elles sont instiguées, suscitées et financées. Tu as connu les deux battants du syndicalisme : le syndicalisme modéré, mercantile et traître qu’on qualifie ici de « gombophage », et le syndicalisme extrémiste, parce que rigoriste, incorruptible et intransigeant avec le gouvernement. Le syndicaliste Gosso est le chef de file de cette dernière catégorie. Il ne cède à aucune corruption, même pas à la corruption sexuelle quand une ministre s’est offerte à lui pour tenter d’étouffer une grève dans son ministère. Il l’a « mangée » proprement, sauvagement et bien, mais refusera d’accéder à sa demande. Pour lui, on ne doit en aucun cas trahir le peuple. Jamais !
Cher Gros-Cœur Gangoueus, il se trouve que dans ce pandémonium qu’est la politique, tu étais un peu trop brillant, un peu trop éloquent. Sur les chaines radio et stations télé, tu haranguais les foules et convertissais les cœurs à votre cause. Tu devins la coqueluche du bailleur de fonds Gantékan, le richissime homme d’affaire qui, en sourdine, finançait tous vos mouvements. Que tu sois devenu son favori suscita la convoitise au sein de la coordination. Et le premier responsable, angoissé que tu lui ravisses la vedette vu tes excellentes performances, devint jaloux et aigri. Il t’appela au téléphone, te tança terriblement, te révéla que ta fiancée Yokossi couchait avec lui pour consolider ta place dans la coordination. Cette nouvelle te brûla le cœur. Amèrement. Mais ce n’était pas le moment de vicier les choses entre toi et ta chérie. Cela n’irait pas à ton avantage. L’heure était à la célébration de la victoire de Gantékan, puisqu’entre temps, les élections présidentielles avaient eu lieu. Et vous avez gagné grâce à ta compétence entre autres. Une autre bataille venait de s’enclencher après la victoire : la bataille des positionnements et des nominations. Qui sera ministre ? Qui sera DG ? Le premier responsable affûta davantage ses armes. À défaut de t’éliminer, il faudra coûte que coûte qu’il t’évinçât. Il tenta d’abord de t’empoisonner lors de la célébration de la fête de la victoire. Un appel in extrémis te sauva de cette tentative d’empoisonnement. Le verre que tu devrais prendre se retrouva dans le gosier d’un inconnu du nom d’Ismaël qui mourut sur place, plombant funestement l’ambiance de la fête. Ismaël, en réalité, était le fils du premier responsable. Le karma Gangoueus ! Le karma ! Retour à l’envoyeur !
Sur le cadavre chaud de son fils Ismaël, le premier responsable retourna intelligemment la situation. Il te doigta comme le meurtrier de son fils, réussit à semer un vent de calomnies contre ta personne, te diabolisa proprement auprès du président Gantékan. Conséquence : on t’élimina de tout et que tout se désolidarisa de toi. Ton ennemi a gagné. Tu te retrouvas seul, en l’air, pendant que tes subalternes furent nommés DG et le premier responsable, ministre des affaires étrangères. Yokossi, toujours décidée et croyant toujours en toi, tenta de te sauver la mise, de t’arranger les choses. En vain. Elle ira jusqu’à « dépuceler sa morale et sa dignité », pour toi. En vain. Désespérée, mortifiée et détruite, elle prendra le chemin de l’exil, ou plutôt de l’immigration clandestine et finira naufragée dans une embarcation de fortune sur les côtes de Misrata. Triste destin n’est-ce pas ?
Te voilà vomi Gros-Cœur Gangoueus. Vomi, mis en paria comme Fama dans Les Soleils des indépendances avec, en sus, la culpabilité corrosive de la mort de ta fiancée sur la conscience.
Alors tu décidas de disparaitre. De disparaitre de la capitale et te retrancher à Allada, vers le centre du pays afin d’essayer de te réinventer une autre vie. C’est là que, sous le manguier où tu te reposes souvent, près de l’école sur le chemin duquel tu t’es fait ami avec deux gamins écoliers : Kamal et Jimmy, c’est là que tu vas faire une autre rencontre, une rencontre sublime. La rencontre de Fatou, celle à qui tu racontes toute cette histoire.
Fatou est une jeune femme sublime aux formes généreuses, appétissante. Elle est tante de Jimmy et Kamal. Au début, elle t’avait pris en grippe quand elle t’a vu en bonne compagnie avec ses neveux. Mais c’est elle qui va finalement devenir ta confidente, ton amie. Une affinité quelque peu forcée par ses deux neveux. Fatou est une fille élevée seule par sa mère. Elle ne connait pas son père… Son histoire se résume à une fille ayant erré dans les méandres de la vie pour connaitre et vivre ses propres désillusions. Enième victime de la naïveté des adolescentes ayant épicé le bas-ventre des hommes, elle évitera de justesse les déboires de grossesse ou d’avortement grâce aux conseils de sa mère : aucun homme ne la chevauchait sans préservatif. Dans sa naïveté, elle y veillait néanmoins. Mais avant, elle avait croisé le chemin du Centre des Sœurs de Notre Dame des Pauvres. C’est là qu’elle va découvrir pour la première fois les délices du sexe. Car ses formes généreuses de pré-adolescente avaient suscité les appétits inavoués d’une nonne : la Sœur Alice, sa prof de biologie. Celle-ci va la préparer au viol lesbien en lui offrant magazine et livres de kamasoutra. Elle finira par subir ce viol et y prendra goût car avec Sœur Alice l’acte fut répété plusieurs fois. Ce n’était plus du viol mais un plaisir coupable qu’elle-même avoue en ces termes : « Un jardin secret venait de naître. Plusieurs fois, nous arrosions nos belles plantes de puissants jets d’eau de plaisir ». Puis, un jour, vu que rien ne reste caché indéfiniment, « le pot aux roses fut découvert ». Le conseil de discipline siégea. Et Fatou fut expulsée du CNDP, à la grande désolation de sa mère. C’est ainsi que Fatou, perdue, se retrouvera presque dans la rue, à vagabonder d’homme en homme et de bar en bar, jusqu’à ce que ses yeux croisent ceux d’un ange qui la sauvera de la cruauté de ce monde : le docteur da Silva, un médecin de formation.
Comme Yokossi pour toi, cher Gros-Cœur Gangoueus, le docteur da-Silva va prendre Fatou sous ses ailes, la former jusqu’à ce qu’elle devienne une aide-soignante très compétente. Fatou, en allant déposer ses neveux chaque fois à l’école, se lia d’amitié avec toi. Vous devenez même plus qu’amis. Car quand elle devait rejoindre la capitale pour exercer son métier, tu avais le cœur en lambeaux. Mais tu devais la laisser partir car elle en avait besoin et ses neveux aussi. Tu as même aidé ceux qui voulaient faire annuler le voyage à comprendre l’opportunité que peut représenter ce voyage pour eux, pour vous. Fatou était donc partie et se tapait de meilleures performances qui émerveillaient son mentor, le Dr da Silva.
Entre temps, le président Gantékan était devenu un tyran. L’Opposition, cette fois-ci dirigée par Tofoé, l’ancien président de la République condamné à cent ans de prison par contumace par le régime en place pour on ne sait quelle raison, se préparait pour reprendre le pouvoir quitte à faire des victimes. Une vague d’arrestations secouait le pays. Des histoires de corruption et de malversations. Parmi les épinglés, le ministre des affaires étrangères. Le premier responsable qui t’avait tué politiquement. Le karma Gangoueus ! Encore le karma. Toi, rien de la politique ne te faisait plus bander. Tu rejoignis la capitale pour dire au revoir à ton amie. Tu devais rejoindre tes sœurs au Canada, n’ayant plus rien à faire au pays. Tes sœurs d’ailleurs, depuis le Canada, ont tout fait pour te faciliter le voyage.
Aéroport. Fatou venait de te glacer les lèvres d’un baiser langoureux pour te dire au revoir. Tu as pris le chemin de l’avion. Elle, celui de la clinique où elle travaille. En rentrant, elle voit passer en trombe une milice gouvernementale qui entre violemment dans l’aéroport. Fatou a continué son chemin sans se retourner. Son amour est en sécurité, elle n’a donc plus rien à foutre de la milice gouvernementale. Bizarrement, ton avion est cloué au sol. Car le président Gantékan a vu un terroriste dans un cauchemar… Un terroriste à arrêter à tout prix. Et on l’arrêta. Ce terroriste, c’était toi Gangoueus. Toi Gros-Cœur Gangoueus.
Voilà l’histoire Gangoueus ! Du pur 69, comme l’auteur le dit à la page 184 du roman.
« La vie, c’est du 69. Les situations, les positions et les actions sont circonstancielles et fluctuantes ».
La vie est une sorte d’Ouroboros, ce serpent qui se mord la queue. Une coexistence indissociable du Bien et du Mal, du Ying et du Yang. Comme Tofoé et Gantékan qui, politiquement, symbolisent l’opposition et la mouvance selon leurs positions. Comme Gros-Cœur qui va s’empêtrer dans des histoires politiques grâce ou à cause de la femme, Yokossi, mais qui sera guéri, nettoyé et donc sauvé par une autre femme, Fatou, mise ici dans le rôle de psychologue ou de psychiatre. Et l’expérience de Fatou avec l’église est à l’antipode de celle que Gros-Cœur et ses sœurs ont connue. Ainsi va la vie. La pierre qui t’a sauvé peut être la même qui va te détruire. Et vice versa.
Je m’arrête là Gangoueus. Merci pour tout ce que tu fais pour notre littérature. Au plaisir et à la prochaine.
Chrys Amégan
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Chapeau pour la belle chronique. Chrys, merci