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Philippe N. Ngalla, La ronde des ombres (2020)
Shrek en littérature congolaise
By Gangoueus Posted in Congo, Gangoueus, Roman on 3 février 2022 0 Comments
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Philippe N. Ngalla, La Ronde des ombres
éd. Le Lys bleu, 2020

Il arrive que le lecteur trop sûr de son fait se fasse piéger par un roman. Aussi, j’aimerais rappeler un principe à appliquer lorsqu’on critique une œuvre de fiction : « Ne vous prononcez pas tant que vous n’avez pas lu la dernière page! »

Palabre autour d’un démarrage

De quoi parle le blogueur que je suis ? On peut percevoir le style d’un auteur en se coltinant quelques pages bien choisies de son ouvrage. Et peut-être qu’entre plusieurs lectures, les morceaux choisis nous pousseront à une lecture complète et engageante de l’ouvrage. Ce sera cela de gagner. Surtout quand on doute de la qualité du travail d’édition. Cette approche peut nous éviter de nous écraser sur une entrée en matière laborieuse et peu engageante et de ne pas réussir à nous relever de ce démarrage poussif. Il s’avère que je préparais une émission littéraire à propos de La Ronde des ombres, le premier roman de Philippe N. Ngalla. Il fait partie de la famille pour moi. C’est le scénario le plus complexe pour critiquer un texte. Philippe est un lecteur très exigeant sur ses choix et passionné dans ses avis. Il a loupé le démarrage de son roman. Du moins, de mon point de vue. Un homme d’état prénommé Sylvestre est en proie à des oppressions spirituelles. Ces dernières arrivent à un moment singulier de l’exercice du pouvoir de cet homme. L’opposition s’éveille. L’homme est en proie à plusieurs doutes et il n’est pas rassuré par les songes très sombres qui plombent ses nuits et même ses journées. Il va à la rencontre de conseillers occultes parmi lesquels Mamou Cocton, occupe une place particulière. Mamou Cocton est une femme qui jouit, sur ces questions, d’une très grande influence sur le chef d’État.

Nouveau discours sur un satrape africain

A partir de cet axe, Philippe N. Ngalla va construire son roman autour d’une réflexion sur le pouvoir et, en particulier, sur la psychologie de l’homme de pouvoir incarné par Sylvestre. Alors pour l’observateur que je tente d’être, mon réflexe est de demander comment l’écrivain congolais va construire son propos sur un thème qui a été très en vogue dans les années 70/80 : la psychologie des leaders africains. Alioum Fantouré, Sony Labou Tansi, Henri Lopes, Williams Sassine ou Ahmadou Kourouma ont croqué la fragilité ou la brutalité de ces hommes avec humour, minutie et distance. La relation est particulièrement étrange entre Sylvestre, obsédé par la contrainte qui semble s’opposer à ses plans, et sa conseillère. Elle le reprend sévèrement pour ne pas avoir respecté certains pactes conclus avec des puissances animistes. Alors, là est ma première réserve : le traitement des croyances magico-religieuses. J’avoue que toutes les pratiques décrites en début de roman m’ont rappelé des histoires racontées au coin de la rue dans un quartier populaire de Brazzaville ou encore pendant une permanence au collège Nganga Edouard. Dans le fond, s’il est assez aisé de décrire une visite chez un féticheur, mettre des mots sur les effets de leurs actions est beaucoup plus périlleux. Sauf si c’est la foi et la psyché de Sylvestre qui sont boostés. Il y a donc des invraisemblances à voir ce chef d’état qui voit le diable à sa porte en de nombreuses circonstances. Il perd pied et il est le jouet de cet entourage de flatteurs. On n’imagine mal une telle posture pour l’actuel chef de l’état congolais. Qui contrôle qui ? Difficile de dire si Philippe N. Ngalla maîtrise cette dimension de son roman.

Mamou Cocton

Ma réserve a été longuement exprimée. Puis, l’écrivain congolais nous propose par le monologue silencieux de ses personnages une analyse sur leur parcours respectif. Sylvestre par le système éducatif occidental, des études universitaires brillantes pour le fils de paysan qui cherchait sa place parmi les enfants des « évolués ». Mamou Cocton a suivi un cheminement plus chaotique, avec une très belle rencontre avec Moussa Dramé qui va être une sorte de mentor pour elle, dès son plus jeune âge. Ces deux personnages donnent à l’écrivain l’opportunité de poser un discours sur l’exercice du pouvoir en Afrique centrale où l’homme d’État est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Quitte à se défaire de ses qualités principales capables d’élever son peuple et de l’extraire du marasme. Quitte à affamer ce peuple, ses principaux représentants pour mieux les tenir à sa merci, celles et ceux qui vont donner le change, l’illusion d’une démocratie. La compétence est délaissée au profit de l’opportunisme des violents. La médiocrité est érigée en standard, l’opposition affamée, des élus choisis pour manger à la table de Sylvestre, je me répète. A ce jeu, les charlatans de tout poil ont la possibilité de déployer leur talent. Cela me paraît quelque peu  réducteur et profondément réaliste.

Shrek en littérature congolaise

Mamou Cocton est le personnage qui permet à l’écrivain de déployer son style et de développer la profondeur du discours de cette femme sur son parcours, sur les enfants de la rue (shégués, terme emprunté à Kinshasa). Pendant plus d’une année, Mamou Cocton a été le pseudo de l’écrivain sur les réseaux sociaux. Il est difficile de ne pas voir dans cette figure celle de Shrek, l’ogre débonnaire des studios Dreamworks. L’ogre a joué un rôle très particulier, une incarnation du mal dans les contes européens notamment dans la construction de l’imaginaire des mômes. Cette femme de l’ombre est portée par des sentiments altruistes, à l’instar de Shrek, là où Sylvestre est préoccupé par son besoin de se maintenir au pouvoir par tous les moyens. J’attendais Raspoutine. J’ai eu Mamou Cocton. Philippe N. Ngalla déconstruit donc ici l’image attendue de ces conseillers occultes.  Naturellement se pose pour le lecteur que je suis la question de la vraisemblance. Si j’entends bien le fait qu’on est dans une fiction où l’écrivain a la possibilité de me conduire dans les méandres sombres de son personnage angélique, son tout doit avoir une cohérence et de la vraisemblance pour que j’adhère au projet. Mamou Cocton ou ma sorcière bien aimée. L’angle d’attaque est alors intéressant et le caractère lumineux de ce personnage de l’ombre est original. Le final nous donne une toute autre lecture du roman. Vous comprenez mon avertissement.

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