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Aimer selon Véronique Tadjo (2021)
Aimer sous toutes les coutures
By Gangoueus Posted in Côte d'Ivoire, Gangoueus, Récit on 22 avril 2021 2 Comments
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Depuis quelques années, je prends du plaisir à aborder les productions littéraires de l’écrivaine ivoirienne Véronique Tadjo. A chacune de ses oeuvres, j’ai droit à un sujet singulier qu’elle traite avec dextérité et originalité. C’est une démarche particulière qui donne une sensation de renouvellement, de curiosité pour le lecteur que je suis.
Ici, avec cette nouvelle publication, nous sommes face à une commande. La maison d’édition Museo propose à des écrivains de produire une réflexion autour d’une action, d’un verbe. Ainsi, Philippe Benkemoun a eu à traiter le verbe « Soigner » à sa manière. Il est écrivain et pharmacien. La philosophe ivoirienne, quant à elle, a questionné le mot « Habiter » il y a deux ans. J’étais donc impatient de voir comment Véronique Tadjo allait aborder ce verbe aimer, ce mot qui ne laisse pas indifférent…
Au départ de ce moment de lecture, il y a une rencontre. Celle d’Eloka, un homme venu d’Afrique de l’Ouest, et d’Aimée, une jeune femme blonde. Elle entretient la ferme familiale tout en restant auprès de son père mourant, quelque part dans une campagne qui pourrait être française, belge ou italienne. Au décès du père de la belle, Eloka emmène Aimée chez lui contre vents et marées, par autobus, par la mer, par de-là les dunes du désert, quelque part dans une mégapole d’Afrique de l’Ouest.
«  Par un soir anonyme, il est arrivé dans un village tracé à l’équerre » p.8, éd. Museo / « … ils finirent par arriver dans la ville natale d’Eloka. Métropole aux mille facettes à la fois urbaine et rurale, archaïque et moderne, pauvre et riche, africaine et occidentale » p.14
J’ai eu un bel échange il y a vingt ans avec un grand frère métis. Il me parlait de la rencontre de son père et de sa mère dans la France du début des années 60. Les mots de Tadjo sur le départ, le mouvement et l’arrivée de ce couple me font penser à cette discussion tendre et complexe dont je me rappelle la grande profondeur. Couple. Mixte. Un homme prend la main d’une femme et lui demande de le suivre. Elle accepte.
« Viens, je t’aiderai à vaincre sa mort » p.13
C’est la parole d’Eloka à l’endroit d’Aimée. L’amour est souvent fait de promesses maladroites… Le deuil est une composante de l’amour qui reviendra plus tard dans la narration. Une forme de rupture avec un être aimé. Eloka est-il prétentieux ? Il a un projet. Pour eux deux. Aimée conteste son rythme, la cadence de ses pas, mais elle le suit…
Je me souviens que Véronique Tadjo est métisse. Peut-être parle-t-elle de l’amour qui a uni ses parents… Hypothèse inutile mais je vous livre aussi mes errements de lecteur. Transporter l’autre dans son univers. Le laisser y trouver sa place. Le laisser se perdre. Elle parle de ce moyen pour continuer d’avancer, pour que l’alchimie perdure : l’amour.
« Bien sûr, Eloka et Aimée pensaient rester victorieux. Comment aurait-il pu en être autrement ? Ils étaient amoureux. Le désir de vivre brûlait en eux. Leurs espoirs n’avaient pas de limites. »  p.38
Naturellement, qui dit « aimer » a tendance à penser couple. Mais il y a aussi cet amour pour les siens, pour ses ascendants. Cette rupture due parfois à l’exploration de l’ailleurs qui dans certains cas peut conduire à une perte de soi, un désamour de soi. Le père voit son fils revenu d’une terre lointaine se tenir à distance de lui. Véronique Tadjo nous permet d’appréhender la rupture avec une terre aimée et elle sonde l’exil silencieux dans lequel s’enferme Eloka. Véronique Tadjo explore les formes de faillite s’insinuant dans la routine de la relation. Je vous laisse découvrir ces aspects dans un livre où je retrouve de nouveau l’extrême sensibilité de l’écrivaine ivoirienne.
« Un matin, Aimée se réveilla  avec une idée précise, partir à la recherche de son désir » p.73
Elle pense cela alors que peu de temps avant elle jette un regard magnifique sur l’autre :
«  Elle aimait les rides naissantes d’Eloka. Celles qui faisaient de ses yeux des soleils. C’étaient ses faiblesses qu’elle comprenait, ses désirs de caresses, ses peurs, ses hésitations » p. 72
Ne pas s’oublier. S’aimer pour pouvoir donner. Véronique Tadjo nous offre un très beau moment de lecture et de réflexion sur l’amour de soi et sur la relation avec l’autre.
Aimer selon Véronique Tadjo
Editions Museo, 2021, 87 pages
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