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PV Salle 6  - Habib Dakpogan (2013)
Ecrire, c’est apprendre à mourir !
By Jean-Paul Tooh Tooh Posted in Bénin, Jean Paul Tooh-Tooh, Roman on 4 mars 2020 2 Comments
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Par  Jean-Paul  TOOH-TOOH
PV Salle 6  d’Habib Dakpogan
Prix du Président de la République 2015 (Bénin)

         PV Salle 6. Le dernier roman du béninois Habib Dakpogan, paru chez Star Editions en juin 2013 a été consacré Prix du Président de la République. Ce roman atypique se lit comme des fragments de chroniques nocturnes tenues par un narrateur (sur le lit d’hôpital) que le sida s’apprête à terrasser.

        Un sidéen, sentant sa mort prochaine, décide d’écrire afin d’évacuer ses regrets, ses déboires, ses démons, sa nostalgie et toute la vision du monde qui étreint son âme et menace de l’étrangler. 64 nuits et 1 jour, pour décliner toute la réalité sociale d’une société au bord de la déchéance, du chaos et complètement défigurée par ses tares. Une société enlaidie par la bêtise et une gamme variée de bassesses. Voici un roman dont l’ancrage thématique est difficile à cerner. Il offre, à travers le regard d’une conscience, un tableau thématique hétéroclite où il est relativement aisé de percevoir les ingrédients sociologiques d’une société béninoise (africaine peut-être) au bord du gouffre. Au fil des pages ou des nuits, se dévoilent une certaine satire sociopolitique et religieuse, des réflexions philosophiques et métaphysiques, des voix intérieures, des réminiscences historiques, des silences, etc., le tout entretenu par une langue savoureuse et sobrement fleurie ; un style fluide, digeste, de coulée essentiellement lyrique qui rappelle le roman psychologique. Un mélange d’humour et de sarcasme doux pour épicer le plat littéraire que nous offre Habib Dakpogan.

         Parlant de satire sociopolitique, lisez avec moi :

« Pour redevenir l’homme le plus médiatisé du pays, le Leader-Charismatique-Révolutionnaire avait entrepris de tout inaugurer sur son chemin, pourvu qu’il y eût une caméra et deux zémidjans dans les environs. Tout, et partout : école à une classe dans une forêt très vierge, il inaugurait ; sentier sommairement tracé aux confins d’un village introuvable, il inaugurait ; bureau de poste en terre battue, isolé  derrière des collines parfaitement inaccessibles, il inaugurait ; ruelles sableuses fièrement baptisées routes inter-Etats, il inaugurait ; tout y était passé…Parfois, au cours d’un déplacement local, il arrêtait subitement son convoi au beau milieu de la ville et descendait pour inaugurer rapidement une place publique délabrée et oubliée depuis des années. » (Nuit 61 : page 17-18.)

        Habib Dakpogan expérimente le jeu des prétextes. Soudé, personnage-prétexte pour revisiter la problématique des rapports souvent conflictuels entre la médecine moderne et celle traditionnelle africaine quant au remède du sida ; maman, Faousath, Zoubé, tous des personnages-prétextes pour légitimer l’urgence d’écrire comme témoignage de tout l’amour dont elles ont entouré le narrateur-personnage. Le thème du sida lui-même est un prétexte pour installer tout le roman :

« J’écris un prétexte. Car j’ai peur du roman lui-même. Si tu n’as pas la force d’affronter le réel, n’écris jamais un roman. » (Nuit 57 : page 46).

Il suggère l’imminence de la mort du personnage principal, peut-être survenue au bout de 64 nuits 1 jour. Dès lors, le lecteur se retrouve en présence d’une écriture-chapelet au détour de laquelle le sidéen égrène progressivement ses nuits :

« Je prospecte le néant, en tenant compte du rythme auquel s’évaporent mes muscles. » (Nuit 57 : page 47).

       C’est d’ailleurs à ce niveau que réside l’intérêt narratologique de PV Salle 6. Les nuits se comptent de manière décroissante comme pour suggérer la marche inexorable d’une âme vers sa propre destruction, d’une conscience qui s’étiole, d’un corps voué au délabrement. L’écriture devient pour le narrateur, un exorcisme, un exutoire, un exercice cathartique qui lui permet de se débarrasser de la hantise de la mort, la quête de l’Absolu et du poids du temps. L’auteur investit les repères temporels comme pour subvertir le temps en tant que chronomètre de la mort. Un véritable  compte à rebours qui installe néanmoins un certain suspens, même si le roman échappe aux caractéristiques du récit au sens classique du terme. Le conflit qui est censé caractériser tout roman, l’auteur de PV Salle 6 le fait suggérer entre le narrateur-personnage et le temps que celui-ci doit mettre pour mourir.

      Même si l’anatomie de PV Salle 6 dérange (admirablement), il est à la portée du plus grand public. Attention, il y aura du rire, des larmes mais des réflexions aussi. Rendez-vous donc dans les librairies.

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