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Au petit bonheur la brousse - Nétonon Noël Ndjékéry (2019)

Comment pouvait-il se dégonfler aux seuls aboiements de ce cerbère à caroncules, lui qui ambitionnait d’aller braver la puissance de feu de toute une armée nationale ?...

Comment pouvait-il se dégonfler aux seuls aboiements de ce cerbère à caroncules, lui qui ambitionnait d’aller braver la puissance de feu de toute une armée nationale ?...

Au petit bonheur la brousse.
Nétonon Noël Ndjékéry
Hélice Hélas Éditeur, 2019

Au petit bonheur la brousse est un roman de Nétonon Noël Ndjékéry. Il m’a tenue en haleine jusqu’à la fin. 376 pages d’un récit particulièrement bien construit, particulièrement bien agencé pour maintenir jusqu’à sa dernière page l’envie d’en savoir plus sur son personnage principal Bendiman Solal.

Bendiman est né en Suisse de parents Tchadiens, diplomates en fonction à Genève. Comme l’auteur de ce roman, Ben a donc la double nationalité : suisse et tchadienne. L’enfant grandit harmonieusement entre Liliane et Zakharia ses parents, Ginette sa marraine, suisse profondément attachée à son filleul qu’elle couve et couvre de cadeaux. On se dit, à ce moment de la lecture que ce roman est un roman d’éducation. On se dit que l’écriture un peu désuète de N.N. Ndékéry qui parle de « l’ovale poupin du visage » (47), son recours régulier à des phrases comme «  par une matinée d’hiver où la grâce tombait du ciel en flocons tourbillonnants » (12) son choix des canons attendus d’un genre traité à la manière du David Copperfield de Dickens le conforte dans une forme un peu datée. De fait, la vie de Ben commence comme celle de Copperfield, sous les meilleurs auspices. Il est heureux, à l’école, hors de l’école, seul enfant noir dans son environnement, il se sent au paradis (26). Il assimile les légendes suisses, celle de Guillaume Tell, opposant courageux au potentat magistrat autrichien, celle de Mère Royaume figure de la résistance genevoise face aux agresseurs savoyards. Les valeurs suisses coulent dans ses veines. Ce qu’on appelle « l’esprit de Genève », cette capacité à désamorcer les conflits pour préférer faire advenir les compromis, le constitue solidement même si ses parents ne l’éloignent jamais de leur Tchad natal.

Les phrases de N. N. Ndjékéry sont longues. L’auteur aime les circonlocutions, les périphrases, le vocabulaire précis voire savant. Son écriture tranche avec celle de beaucoup d’auteurs contemporains. Mais ne nous y trompons pas ! Ben ressemble bien davantage à Lazarillo qu’à David Copperfield ! Il est un picaro qui ne devra pas affronter les mauvais traitements que lui inflige un maître aveugle mais l’incurie d’une autorité d’état tout aussi aveugle. L’écriture de N. N. Ndjékéry réussit ce tour de force de mêler une forme plutôt traditionnelle du discours narratif, une forme « sage », policée pourrait-on dire à son exact opposé, une écriture suggestive, troublante :

« Coco sortit deux grosses bougies du sac de sport qu’il portait en bandoulière, les alluma, puis éteignit la lampe de son téléphone mobile. Avec la complicité de vifs courants d’air à l’œuvre sous ce toit, il créa une atmosphère faussement intimiste où les lumignons tremblotants projetaient sur les murs des silhouettes fantomatiques, saisies de la frénésie d’une danse d’autant plus spectaculaire qu’insonore. » (218)

Rappelés par Didi Salman Dada, alias L’Autre-là, chef d’état, Liliane et Zakharia sont rappelés à Ndjamena. Ben pose pour la première fois le pied en Afrique. Gigi, en larmes, voit son filleul adoré partir. Il sera le négropolitain, le noir avec les manières d’un blanc qui a grandi en Europe. Liliane et Zakharia sont arrêtés à leur descente d’avion, placés au secret. L’enfant se retrouve seul au sein de sa famille tchadienne. Commence pour lui une nouvelle vie tout entière tournée vers la résolution d’une énigme particulièrement douloureuse. Où sont incarcérés ses parents ? Comment les sortir de là ? Qu’est-ce que la raison d’état ?

Au roman picaresque se mêle un récit lucide et souvent poignant de la réalité quotidienne vécue par la population en prise avec un état dévoyé par la dictature. N. N. Ndjékéry nourrit son texte de références historiques, géographiques, anthropologiques, sociétales, cultuelles de son pays de naissance. Nous sommes dans la ville rebelle de Takoral. Ce roman est plein de rebondissements. L’auteur joue de son statut omniscient, les personnages se succèdent, se répondent, disparaissent, réapparaissent. Plutôt que de courir le risque de dévoiler tel ou tel épisode (le livre est découpé en 31 chapitres aux titres toujours ciselés) je me lance dans une galerie partielle des portraits souvent pittoresques qui accompagnent celui que l’on appelle maintenant « mini-tell ». Il a le projet de renverser le gouvernement :

  • l’oncle Prosper, féru d’orthographe. Qui est le meilleur en dictée se voit octroyer le titre de « dictateur » !
  • Lalibela, la si jolie cousine
  • Khalil Kilimandjaro, héros absolu, un « s’en-fout-la-mort» (sorte de double de Ben)
  • Saleh Gombo, le bouvier honnête
  • M’sieur Polycarpe, l’instituteur et son chapeau que chaque élève doit remplir chaque matin parce que « Toute peine mérite salaire », son serpent noir, le fouet avec lequel il punit les récalcitrants
  • Maman Bonheur, tenancière d’une auberge
  • Marcus, le souffre-douleur qui deviendra Big-Bang
  • Gary Gobert et ses frères, les harceleurs
  • Mao Tsé-Tsé, le chef de ceux qui veulent prendre la brousse
  • Le général Moustapha Rubicon Bahr, figure emblématique de l’autorité aveugle
  • Les mange mille, soldats corrompus…

On le devine, ce roman peut aussi se lire comme un roman policier dont le dénouement serait le moment d’élucidation de l’énigme de la disparition de Liliane et Zakharia Solal.

Au petit bonheur la brousse - Ndjekery

Il invite aussi à penser les questions liées à une double culture. Il pose sur l’humanité le même regard que celui de Liliane : Ben n’est pas tenu de choisir entre ses appartenances.

Le livre de N.N. Ndékéry est dense parce qu’il est nourri. J’ajoute que les éditions Hélice Helias ont fourni un bel objet-livre à ses lecteurs. La couverture offre deux élégants rabats qui s’ouvrent sur deux très beaux dessins que Macbe a spécialement réalisés pour cet ouvrage, alors que, de l’aveu même de N.N. Ndékéry, Macbe ne connaît pas l’Afrique.

N.N. Ndékéry a publié La minute mongole en 2014 aux éditions de La Cheminante. J’ai très envie d’aller l’écouter s’égrener.

Sonia Le Moigne-Euzenot

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