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Amour, patrie et soupe de crabes - Johary Ravaloson
Si nous sommes cette putain de belle terre rouge, nous sommes les graines de mauvaises herbes qui vont devenir des arbres. Si je suis cette putain de belle terre rouge, je suis le feu le rêve une cité d’hommes libres. Suis-je ? Sommes-nous ?  
By Sonia Le Moigne-Euzenot Posted in Madagascar, Roman, Sonia Le Moigne Euzenot on 10 décembre 2019 0 Comments
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Amour, patrie et soupe de crabes.

Johary RAVALOSON

Éditions DodoVole, 2019

« Si nous sommes cette putain de belle terre rouge, nous sommes les graines de mauvaises herbes qui vont devenir des arbres. Si je suis cette putain de belle terre rouge, je suis le feu le rêve une cité d’hommes libres. Suis-je ? Sommes-nous ? »

Place du 13 Mai. Place de l’Amour. Antananarivo. Le chauffeur de taxi qui raconte à la première personne est celui qui campe les personnages, distribue les rôles, les commente. Le roman s’affiche comme roman, comme fiction. Et parce que l’espace géographique est aussi un personnage à part entière dans Amour, patrie et soupe de crabes de Johary RAVALOSON, l’objet littéraire que nous propose l’auteur malgache est étrange et familier à la fois. Beau tour de force !

Familière l’histoire de Héry, ce petit garçon de 11 ans devenu 4-mis parce qu’il ressemble à Isookanga, le shégué de Kinshasa dans le livre de J. Bofane : Congo Inc. Ces enfants partagent la même misère nourrie de rêves. Héry rêve de se baigner dans la fontaine de la place du 13 mai. Familière parce que les raisons qui broient l’avenir de cet enfant sont toujours les mêmes. Familière parce les hommes au pouvoir ont des sous-fifres presque sympathiques comme Justin Rabédas. Justin est fier de cette fontaine qu’il a contribué à ériger. Lui aussi a un rêve : celui d’assainir, de désencombrer la ville pour la rendre plus attrayante, plus agréable à vivre. Sa bonne volonté se heurte à sa méconnaissance des réalités que vivent les gens. Il est inexcusable. Il en fera l’amère expérience quand il partagera avec eux la prison d’Antanamora.  Familière parce que dans l’ombre sévit, comme souvent, des êtres comme Liva en charge de la sécurité de la ville. Son rôle n’est ambigu que pour qui ne veut pas savoir. Et le roman garde ses droits : sur le chemin de sa vie Héry va rencontrer Nivo Espérance. Elle le recueille, lui offre une éducation, l’adopte. Happy end ?

Présenté ainsi, le roman de Johary RAVALOSON ne serait qu’un énième récit sur la gabegie de certains pays qui vole à ses habitants le droit de choisir leur destin et de vivre décemment. Sûrement pas !

D’abord, le narrateur est un narrateur singulier. Il s’inscrit dans une filiation littéraire (Rabearivelo, Dox, Khourouma). Il partage des traditions culturelles qui soudent les personnages (le jeu du fanorona, la fête du famadihana entre autres). Singulier parce que cela  ne l’empêche pas de s’effacer souvent pour laisser parler, laisser penser, laisser vivre ses personnages. Ils parlent de leur quotidien. Ce jeu d’affichages coupe la fluidité du récit. Le procédé est d’autant plus déstabilisant que l’écriture se fait alors parfois banale. L’effet reste très réussi. Il contribue à donner aux gens d’Antanarivo une véritable épaisseur.

Le livre est construit en boucle. Il s’ouvre et se referme sur le même thème : celui de l’identité. Aucun des personnages n’est exclu de ce questionnement sur lui-même. Aucun n’est monolithique. Le personnage de Nivo, sarimbavy, est bien entendu le plus emblématique mais au moment du récit, Nivo a déjà eu à subir ce que son désir de changement de sexe lui a infligé ! Fred n’existe plus, vive Nivo ! Elle assume pleinement, ouvertement, ce qu’elle a choisi d’être.  Quelle force ! On la dirait aux côtés du narrateur : suffisamment lucide pour décrypter ce qui constitue les ambiguïtés de la plupart des êtres. Suffisamment grinçant.

« Les poubelles baissent dans certaines rues d’Antanarivo, des primes ont été distribuées, les camions tournent sans arrêt, leur nombre n’a pas augmenté, ils tiendront jusqu’aux élections, les poubelles baissent, réduites à une hauteur convenable avant les premières pluies. Et Rabédas qui n’a dit ni oui ni non barbote dans le bassin odieux de la corruption comme un éboueur dans un amoncellement d’ordures » (225)

Johary RAVALOSON aime tant sa ville qu’il ne peut extraire ses propres personnages de sa terre rouge. On pense au si beau texte d’Aristide Tarngada  Terre Rouge qui, depuis le Burkina Faso cette fois, en féconde les protagonistes de sa pièce de théâtre. Johary RAVALOSON parle de « la poussière rouge de l’enfance » (237). Toute histoire personnelle, individuelle est reliée à l’histoire de Madagascar. À l’histoire politique de l’île dont il est fortement question dans ce roman se mêle celle d’un espace géographique sans lequel rien ne se ressent dans cette fiction. On parcourt la ville, ses collines, ses escaliers, ses quartiers. On y déambule. Les pages sont belles. Héry porte le nom d’un chef d’état mais, lui est une espérance, un enfant qui, comme au début du livre s’ébat dans la fontaine de la place du 13 mai. Et les points d’interrogation qui n’existaient pourtant pas au début du livre dans « Suis-je ? Sommes-nous ? » (313) ne détournent pas du spectacle de la terre rouge qu’on voit sur les dalles disjointes de la place du 13 mai. Le point d’interrogation est une ouverture sur l’avenir.

« Le soleil se penchant vers l’ouest fait une apparition sous les nuages et projette des rayons d’or. Antanarivo brille. Ses rizières dévastées semblent coulées dans du bronze. Héry couvert de poussière depuis le début de l’après-midi a des reflets brillants jusque dans ses cheveux. La lumière apaiserait les désarrois s’il en restait dans les cœurs en cette fin de journée de fête » (311)

On irait bien sur place voir si Héry se baigne place du 13 Mai.

Amour, patrie et soupe de crabes

S LM-E

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