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Deux secondes d'air qui brûle - Diaty Diallo (2022)

Discours poétique sur la question des violences policières 

Discours poétique sur la question des violences policières 

Diaty Diallo
Deux secondes d’air qui brûle
Éd. Seuil, 2022
Définitivement, un sujet peut être traité cent mille fois en littérature, tant qu’un auteur arrive par la qualité de son regard, la sensibilité de son point de vue et la puissance de sa démonstration, à rendre sur papier ses tripes, à livrer ses entrailles, la lecture nourrira l’esprit du lecteur. L’écrivain.e renouvellera son regard médusé.
Héraclite disait que « personne ne se baigne deux fois dans le même fleuve ». Un classique de l’initiation à la philosophie, du temps de mes classes congolaises. Les eaux ici, sont celles de la banlieue populaire française, même si Diaty Diallo en a une vision moins poisseuse, plus romantique. Des espaces qui ont vu naître les Mbappé et les Kimpembé. En ces lieux, sur ces territoires perdus de la République selon la rhétorique acharnée d’Eric Zemmour, ces ghettos par delà le périph, ces cités, ces zones interdites, tous les mots disent quelque chose et ils situent celui qui l’ouvre pour donner son avis. De Faïza Guene à Thierry Jonquet, d’Habiba Mahany à Joss Doszen, de Wilfried N’Sondé à Diaty Diallo des voix s’expriment et disent le Tout-monde de Chamoiseau et Glissant qui s’invente réellement dans ces quartiers singuliers de France et de Navarre. Une France différente, une France monde, une France plurielle, une France qui gagne à être mieux contée.

Discours de la crainte pour ne pas dire de la terreur.

Diaty Diallo s’inscrit dans le discours sur ces espaces incertains pour beaucoup de Français. Discours sur une incompréhension ou, mieux, un refus de comprendre. Lors d’une fête qui se déroule dans des sous-sols , des sortes catacombes sans squelette, des jeunes sont enfumés par une grenade lacrymogène jetée par les forces de l’ordre. Comme pour débusquer des rongeurs pour nettoyer un champ.
«  Mes yeux à la recherche du beige dans les siens, du miel coule le long des murs, je voudrais les lécher, y plonger ma langue et les doigts. l’odeur de ma peur s’estompe  mais mon nez se met à piquer. À piquer puis à brûler. Mes yeux à leur tour. Les murs ont repris leur gris. Je reconnais  l’odeur, capte que l’espace de la fête est clos : on est dans la merde. » p.21
C’est Astor qui parle, qui met des mots sur la flamme naissante du désir – pour éviter d’évoquer trop vite l’amour – pour une jeune femme rencontrée sur cette piste de danse. Un lieu d’évasion qui change de couleur en fonction de la nature de la peur qui habite le narrateur : celle d’obtenir l’attention d’une jolie demoiselle ou celle d’une nouvelle confrontation avec l’ordre républicain. Dans cette séquence, très visuelle, Diaty Diallo peint les sentiments qui étreignent celui qui raconte. Dans la confusion qui suit cette action violente, une bavure policière a lieu et un jeune homme reste sur le carreau.
«  Les sirènes et les gyrophares, on n’y prête plus tellement attention. Ils sont jumelés aux bons moments. Alors j’imagine que c’est une fois en la présence des agents que les gars captent qu’ils vont devoir se justifier, encore, sur ce qu’ils font de leur existence à ces dépositaires qui ne les valident pas.  Depuis le temps on a appris à exécuter les ordres sans faire de commentaires pour que ça aille plus vite , poursuivre la fête ou rentrer chez nous. Mais ce soir ce n’est pas tout à fait pareil. Il y a des soirs où ce n’est pas tout à fait pareil. » p.32
Nous sommes sur le fil du rasoir. Cet événement était malheureusement attendu, le dérapage prévisible, tellement le gouffre entre ces jeunes et la police est sidéral, quand l’incident se produit. Diaty Diallo pose cette équation avec élégance, avec la manière. Il y a un côté Do the right thing (1) dans ce début de roman. Il y a un côté Chronique d’une mort annoncée.
Si le discours sur la violence est renversé, il reprend le propos de Thierry Jonquet (2) il y a quelques années après les émeutes de 2005, là pour exorciser les conséquences d’une bavure policière construite sur cette incompressible incompréhension. Des enfants courent en voyant la police. Pourquoi fuient-ils ? Qui sont Zyed et Bouna ? Pourquoi les choses ne changent-elles pas ? Pourquoi la célébration d’un diplôme dans un espace certes non autorisé doit-il prendre une tournure aussi funeste ? Pourquoi un genou se maintient-il aussi longtemps sur un cou? Je joue de l’amalgame parce que George Floyd et Adama Traoré ont constamment habité ma lecture de ce roman.

Autopsie des espaces

Sont-ils morts ces lieux, ces immeubles hauts, leurs parkings, caves et toits ?  Le terme « état des lieux » serait plus juste. Car il y a tellement de vie, d’énergie dans ces espaces pourtant glauques au premier abord. Les lieux, leurs architectures vont structurer la narration de Diaty Diallo en suivant une verticalité, en partant de la cave. Le lieu du repli imposé. Le lieu de la dinguerie, de l’éclatement. Le lieu des amours possibles. Le lieu d’une reconstruction, celui de racines nouvelles. Ici, je veux procéder à une comparaison avec Fleur de béton (3) un roman de Wilfried N’Sondé, écrit dix ans plus tôt, et qui débute de la même manière depuis une boîte de nuit clandestine dans le sous-sol d’une barre d’immeuble. Des amours naissants. La cave est beaucoup glauque chez Wilfried, car elle est également le lieu de passes sordides aussi et des viols collectifs. Le point de vue de Diaty Diallo considère plutôt l’agression de cet espace d’évasion par les forces de l’ordre. Comme pour s’extraire d’une autoflagellation récurrente pour désigner une source extérieure à cette violence. Rappelons toutefois que dans Le coeur des enfants léopards la confrontation a lieu aussi, mais là encore, elle donne lieu à une introspection profonde.
La rue est le point de rupture, de la défiance manifestée et du crime. L’enfumage impose une nécessité de s’extraire de la zone de repli et d’évasion pour se frotter à la réalité. Un contexte complexe. Il y a aussi le deuil qu’on perçoit dans l’espace d’un appartement quand Astor, le personnage narrateur rend visite à Cherif, le frère de la victime. Le deuil, la douleur de la perte et la nécessaire reconstruction. Dans l’appartement, Diaty Diallo avec sensibilité, entre ces jeunes hommes rappelle la violence de cette disparition et comment cette dernière est vécue, pas seulement par des manifestations, mais seul dans une chambre comme Chérif, frère de la victime et Astor qui vient soutenir ce dernier.
«  On sort dessous par les escaliers, Nil et moi. Jamais su où était  l’ascenseur. Ça  sent tellement la pisse là-dedans qu’on peut quasi la goûter. Je garde la bouche et le nez fermés »  p.99
Les toits, la place, le zéro ( rez-de-chaussée ?) les parkings sont les autres espaces qui chaque fois sont habités différemment par les hommes mais remarquablement par la voix de Diaty Diallo.

Habiter l’espace par la langue juste

L’un des écueils de plusieurs romans que j’ai lus sur ces espaces est la question de la langue. Un bon roman éveille nos anciennes lectures. Je me souviens de Kiffe kiffe demain de Faïza Guene. Je me souviens de ce roman voué aux gémonies par la critique littéraire parisienne sur une langue française n’aurait pas été maîtrisée par la jeune écrivaine. Les propos furent si virulents que je me suis plongé dans la lecture de ce roman pour me faire ma propre idée. Je me souviens encore de cette lecture où cette écrivaine avait trouvé la voix juste de son personnage, cette jeune adolescente dans son quotidien avec sa mère et des figures du tiékar.  La voix, plus intérieure, du fameux roman Le coeur des enfants léopards qui révéla Wilfried N’Sondé est plus poétique, moins inscrite dans le lieu de rupture qui conduit par moult détours un jeune homme en une garde à vue. Le souffle poétique se nourrit des origines lointaines Kongo du narrateur en difficulté. En fonction du niveau de la langue, de sa forme, on peut se demander à qui s’adresse le texte. Diaty Diallo joue sur deux registres. Le contrôle absolu de la langue française qu’elle manipule à merveille et elle convoque dans les dialogues mais aussi dans la structure des phrases, celle des quartiers. Là, vaut mieux être bien entouré, pour comprendre certaines expressions en mode lyrics d’Aya Nakamura.  Elle ne trahit pas ses personnages. Ce jeu est savoureux, parce que c’est un voyage  passionnant et une passerelle aboutie entre des mondes d’incompréhension. La qualité de langue impose la lecture, donc l’ouverture à l’autre.
Gangoueus
(1) Do the right thing, film de Spike Lee, 1989, société de distribution Universal Studios, société de production 40 Acres and A mule Filmworks

(2) Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte, Thierry Jonquet, 2006

(3) Fleur de béton, Wilfried N’Sondé (Actes Sud, 2012)

 

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