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Comme  une reine - Ernis (2022)

Le village, les femmes, les morts...

Le village, les femmes, les morts...

Comme une reine, Ernis
Editions JC Lattes, 2022, Prix RFI Voix d’Afriques

Je tente d’attraper le temps, un espace de temps, pour vous parler de plusieurs lectures. Je commencerai par Comme une reine, de l’écrivaine camerounaise, Ernis, lauréate du prix RFI Voix d’Afriques qui récompense un manuscrit parmi plusieurs centaines d’autres. Les candidats ont moins de trente ans au dépôt de leur manuscrit. Ce prix est organisé par la maison d’édition JC Lattès  en partenariat avec Radio France Internationale et la cité internationale des arts. JC Lattès publie l’ouvrage primé. Radio France Internationale accompagne la promotion de l’ouvrage et la Cité internationale des Arts assure une résidence littéraire à la lauréate pendant quelques mois.

Comme une reine, remporte la troisième édition de ce prix. Le personnage central est une jeune femme basée à Douala, la capitale économique, qui vient passer quelques jours dans sa chefferie, quelque part en pays bamiléké. 

« Demain, je retourne au village, même si j’ignore encore ce qui m’appelle, ce qui m’y attend. J’obéis à mon intuition, à cette voix qui me souffle des idées. Elle me trompe peu. Ce sera aussi l’occasion de quitter cette ville, de mieux respirer et de prendre soin de ce corps assommé » (p.15)

Il y a quelque temps qu’elle n’est pas revenue voir sa grand-mère. Elle s’est extirpée d’une relation douloureuse. Et surtout, elle a mis fin à une activité professionnelle précaire dans une auberge qu’elle considère « hantée ». Un vieillard y apparaît et parle dans sa langue maternelle à Noupoudem, notre héroïne.  Ce retour constitue une pause, un moment où elle va pouvoir se recentrer sur elle-même. Cependant, au cours de ce séjour, décède le chef de cette communauté fortement ancrée sur ses valeurs ancestrales. Son fils, Kazé, doit prendre sa succession.

Des femmes…

La première partie de ce roman s’arqueboute sur les figures féminines que l’héroïne côtoie physiquement ou en pensées. Il y a sa grand-mère naturellement. Aimante et tranchante, qui vit une certaine solitude depuis la disparition de son mari. On pense à la mère de l’héroïne absente, aimante à sa manière. La notion même de l’absence ici est discutable que je l’applique à cette mère. Elle a toujours été là quand sa fille tentait de nouer une relation avec un père qui a tout fait pour se défaire de ses approches. Les femmes, ce sont des personnes disparues comme cette arrière grand mère, Pewo, morte treize ans auparavant qui reste très forte dans sa mémoire. Les femmes sont celles qui vont devenir ses co-épouses, puisque Kazé, son amour de jeunesse, devenu leader de sa chefferie va la prendre pour première épouse avec l’ambition de faire la maîtresse d’un projet de modernisation de cette chefferie. C’est l’occasion, avec le portrait de certaines de ces co-épouses de comprendre les jeux d’alliance entre les différentes chefferies bamiléké et surtout une polygamie de fait imposée à Noupoudem.

Polygamie, version camerounaise

Cette question de la polygamie apparait avec fracas dans la littérature camerounaise depuis peu, quarante ans après les grands textes produits au Sénégal sur cette thématique par Mariama Bâ, Aminata Sow Fall ou Ken Bugul. Djaïli Amal Amadou introduit cette question dans deux de ses romans Walaandé, L’art de partager un mari et Munyal, Les larmes de patience. Une polygamie spécifique au milieu peul de l’Extrême Nord du Cameroun. La démarche en pays bamiléké dans le milieu des notables de la chefferie décrite par Ernis ne semble pas être bornée. En tout cas pour ce jeune souverain. Ce volet permet à Ernis de fournir des éléments sociologiques sur cette diplomatie du mariage qui n’est pas propre aux Bamilékés mais aussi sur des questions de caste qui va être un élément important dans ce roman. Il y a aussi un jeu intéressant autour du sacré qui entoure naturellement Kazé, en tant que souverain et Noupoudem qui a les moyens de la transgression.

Les morts…

Il est beaucoup question du culte des ancêtres dans ce roman. Il prend d’ailleurs une forme interactive passionnante. Je pense à Garcia Marquez et ce qu’on appelait le réalisme magique quand certains personnages interagissent avec des figures disparues… Noupoudem a un don de divination ou de prophétie. Elle est sensible aux voix de l’au-delà. Elle est le réceptacle d’un héritage spirituel et d’une mémoire singulière. Du moins, elle va découvrir le sens de certains songes et apparitions. Elle va comprendre que sa présence dans ce village au moment du décès du souverain est loin d’être le fruit du hasard. Ernis décrit ce culte des crânes, le procédé d’exhumation, la force de cette connexion spirituelle et répète à souhait la démarcation vis-à-vis du christianisme qui rejète ces croyances. Revenir au village, c’est une démarche de réconciliation vis-à-vis d’un amour perdu, d’histoire qui semble avoir été volée pour construire un arrière pays refuge car beaucoup de ces femmes se sont perdues dans les grandes villes comme Douala ou Yaoundé. Il y a beaucoup à dire, de sous-thèmes à explorer comme la prostitution, le chômage des jeunes diplômés qui résonnait déjà dans le roman de Fann Attiki (Cave 72, lauréat de la seconde édition du Prix RFI/ JC Lattes).

Techniquement, mon avis

Si j’ai aimé les phases de description du village, du retour de Noupoudem, le développement sur les pratiques ancestrales, je peux regretter le traitement superficiel de la polygamie que son personnage est comme une reine. Il y a approche très « documentaire » qui nuit sur la fin à la narration autour de la trajectoire de Noupoudem, son conte avec Kazé qui sombre dans une forme de cauchemar. Le style de l’écriture est moins engageant dans la dernière phase du roman. Mais, je me suis nourri sur cette vision politique que déploie ce personnage au côté de son mari. J’aime ce retour aux sources que des auteurs comme Diadié Dembélé ou Ernis entreprennent avec une idée forte de reconstruction d’une identité africaine. 

Gangoueus

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