Il est dix-sept heures juste à Kisangani. Les projecteurs s’allument. Sous le feu, un homme apparaît, silencieux et calme. Une petite accalmie s’impose, juste avant que quelques notes de piano ne fassent timidement écho aux oreilles. Une voix parle, c’est celle de Germain Ngandu, confiant et émouvant. Le public ovationne, comme le fleuve qui coule dans les chutes Wagenia. Le texte, chantant la muse et son amant, embarque pour un voyage à la rencontre de la mélancolie et de la douceur des mots. Ce poète-slameur, originaire de la ville de Kindu², chouchoute tous les yeux curieux de la salle de l’espace culturel Ngoma de Kisangani par sa prestation amène.
On ne se sent jamais en confiance quand son prédécesseur place la barre très haut devant un public aussi sensible que sévère. Je suis dans le vestiaire. J’ai un regard froidement placé sur Joël Kona. Il est d’habitude calme, un peu timide. Je me demande s’il saura nager dans ce courant des marins habiles. Le public acclame, le podium reste quelques secondes dans le noir. L’instrumental démarre, comme un vent qui souffle sur des montagnes. Pendant plus de quatre minutes, j’ai découvert une autre face de ce jeune ami. Il a su très vite créer une cohésion avec les esprits présents, bien qu’avec plusieurs coups manqués au début. La soirée « Pokwa slam » ( soirée slam ) a fait des nouvelles Kimpa Vita¹. Celles-là ont un air un peu plus rétif et brave quand elles assaisonnent les mots. La plus forte, c’est la slameuse Aline Mulenda ( une vieille amie de l’école secondaire ), montée sur scène dans un déguisement très significatif. Son texte, la femme de kemet, est révolutionnaire, témoignant la grandeur de la femme africaine et sa douceur. Personnellement j’ai été très marqué par la prestation d’Aline qui a finalement reçu le prix de la meilleure prestation de la soirée octroyé par le groupe Z-films, producteur de l’évènement.
Une soirée poésie chantée sans romance est en quelque sorte ratée. C’est mon avis, je l’assume. C’est le slameur Humble qui a offert au public présent le plus beau spectacle avec ses déclarations d’amour à celle qu’il aime. Il était là, aux pieds de sa dulcinée, fleurs en main, laissant son cœur vomir tous ses mots. La salle était emballée, envoûtée par la douceur des comparaisons entre femme et fleur. J’ai eu l’impression de vivre une mise en scène des poèmes « Ôde à Cassandra » de Ronsard, tant la similitude des comparaisons était visible. Malheureusement, à chaque fois que je voulais toucher le ciel, une petite dose de manque présence sur scène ramenait mes deux pieds sur terre. Humble ne sait pas bien se prendre devant son auditoire, c’est son tendon d’Achille.
Le grand souvenir que je garde de ces trois heures de voyage c’est qu’elles m’ont vraiment permis de connaître les visages cachés de plusieurs amis proches. J’affirme par-là que l’on ne connaît jamais mieux une personne — aussi proche soit-elle — avant certaines circonstances. Kangamina Musingilwa m’a montré son côté sentimental. C’est un poète engagé. Tout le monde le connait pour ses prises de position dans des débats socio-culturels. Quand il est monté, je m’attendais à un plaidoyer, à une satire peut-être. Mais il a tapé ailleurs. Le type a joué romantique sous une mélodie de la guitare arabesque. Sa voix dégageait une forte énergie, une puissance qui a gardé la salle silencieuse pendant plusieurs minutes. La déclamation de Kangamina m’a donné l’impression d’écouter Tata N’longi dans l’un de ces concerts de mots. C’est dignement qu’il a reçu le prix du meilleur texte de la soirée.
C’est l’originalité qui fait toujours la différence dans de telles manifestations. C’est ce qui fait même la force d’un artiste. À la fin, c’est le slameur Bila Daniel qui a été pragmatique avec son nouveau single « la vie est “ belle” », une interprétation du célèbre morceau de Papa Wemba. C’est une surprise que Bila a réservée au public surtout que le 24 avril on célèbre la mort de cet icône de la musique africaine.
C’est sous cette belle mélodie que ma soirée Pokwa slam se clôture. J’en garde des souvenirs, des meilleurs.
Patrick Isamene
Notes explicatives :
¹Kimpa Vita, Kimpa Mvita, Tsimpa Vita ou Tchimpa Vita (née à Mbanza Kongo, aujourd’hui en Angola, 1684 – morte à Evolulu, aujourd’hui en Angola, le 2 juillet 1706), aussi connue sous son nom Portugais Dona Beatriz, est une prophétesse Kongo, fondatrice et dirigeante du mouvement antonianiste, une forme de syncrétisme entre catholicisme et religions traditionnelles du Kongo. Elle lutta pour la réunification du royaume Kongo, alors en proie à l’anarchie portugaise ; elle fut attrapée par les Capucins, condamnée au bûcher et mourut brûlée vive sur ordre du roi Dom Pedro IV, le 2 juillet 1706[1]( wikipédia )
Elle est surtout l’image de la force et du courage féminin.
² Kindu est une ville de la République démocratique du Congo, capitale de la province du Maniema. Elle se situe au nord de Kasongo et à l’ouest de la ville de Baraka. Elle est à quatre jours de navigation sur le fleuve Congo de la ville de Kisangani.
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Merci pour le résumé de pokwa slam
Super