Nimrod est un écrivain qui explore avec beaucoup de maîtrise plusieurs genres littéraires. Essai, poésie, récit, roman, livre de jeunesse… Je n’ai pas encore lu sa poésie. J’avoue que je me régale quand je lis ses textes de récits. Visite à Aimé Césaire fait partie de ces textes passionnants.
L’homme de lettres tchadien entreprend d’aller à la rencontre du grand poète martiniquais Aimé Césaire. La première partie de l’ouvrage est un récit sur le contexte de cette démarche, les appréhensions du poète tchadien qui voue un respect infini à Césaire et aux pères de la Négritude. Il propose une description millimétrique de la rencontre. Vous savez, j’ai vu plusieurs fois ces écrivains faire la pause avec Bernard Dadié ou Aimé Césaire. Ce qui est marque de respect et la reconnaissance d’une certaine filiation. Mais mettre des mots sur ces moments reste extrêmement délicat. Ces hommes sont rencontrés à la fin de leur vie, diminués physiquement, sont encore vifs sur le plan intellectuel. Le lecteur a donc droit à la description de cette émotion, de cette fragilité du narrateur rencontrant celui qui pourrait être un père, qui est une figure influente sur le propre travail d’artiste de Nimrod. Le désir d’être à la hauteur de ce moment caractérise cette phase du propos de Nimrod.
Cette mise à nu est d’autant plus touchante que Nimrod connaît son Césaire. L’essai qui suit le récit de la rencontre montre combien il nous engage à lire, relire le poète antillais, en nous fournissant des clés de lecture, en proposant des textes ayant pu influencer l’écriture du Cahier d’un retour au pays natal. Nimrod aime écrire sur les poètes. Il est lui-même poète et il a les outils de la critique littéraire pour nous donner envie d’en savoir plus et surtout de lire ces artistes. Ce fut le cas récemment avec Ingrid Yonker (1), la poétesse afrikaner en rupture avec sa communauté dans une Afrique du Sud engagée dans l’apartheid.
Il faut être tout à la fois présomptueux et infantile pour demander à Césaire de raconter pour la nième fois l’aventure de la négritude à l’époque où lui et ses compères créaient la revue L’Etudiant noir. Or c’est exactement ce qu’il attend de ses visiteurs. Il accepte le jeu mondain de bonne grâce. Il en joue, il récrit les mêmes pages, lui qui n’écrit plus de trente ans. Comme tous les vieux, il aime se raconter – comme tous les mouvements vivants. il le fait par politesse, par amusement. Lorsqu’il reçoit des gens qu’il estime, il cabotine à l’envi.
p32-33
Nimrod est un personnage explosif, sensible qui d’une certaine manière ne supporte pas les approximations. C’est un poète.Aussi, peut-on sentir son exaspération quant à certaines questions posées à Césaire. Elles ne sont pas la hauteur de l’homme. Césaire s’en joue loin d’être agacé. Cette audience auprès de Césaire constitue donc dans sa phase d’approche une épreuve pour lui. Encore une fois, il arrive à mettre des mots précis là où cela semble complexe. Un autre aspect de cette audience ce sont les échanges avec Ina Césaire, sa fille, qui, d’une certaine manière, introduisent le regard critique de Nimrod sur le travail. Une femme qui connait l’oeuvre de son père sur le bout des doigts. Césaire, le père. Césaire, l’homme. Césaire le nègre fondamental.
Comme je l’indiquais, la dernière partie de cet ouvrage est une analyse plus technique du travail de Césaire. Dans le fond, au-delà de la photo avec le poète martiniquais et de la rencontre « improvisée » avec Daniel Maximin, le premier étant la voix de Césaire et Nimrod celle de Senghor, ce qui reste, c’est ce désir de nous faire lire ou relire Césaire. Sa poésie surtout. On peut regretter qu’il ne revienne pas suffisamment sur son théâtre, que Nimrod n’aborde que le Discours sur le colonialisme alors que son essai méconnu Toussaint Louverture ou le problème colonial pendant la révolution française. Il faut lire ce texte comme une introduction à Césaire. Il se garde bien de ne pas comparer les deux poètes Senghor et Césaire. Ce qui, selon moi, aurait pu encourager à lire Senghor. Encore, une fois, Nimrod me surprend. Pour mon plaisir absolu.
Editions Obsidiane, 75 pages, première parution en 2013
(1) L’enfant n’est pas mort (Editions Bruno Doucey)
20
Aimé Cesaire
Nimrod
Poésie
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