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By Gangoueus Posted in Antilles, Gangoueus, Interview, litterature jeunesse on 16 décembre 2021 0 Comments
READ! est un club de lecture en Ile de France, créé en 2007 par Laurie Pezeron. Des lectures souvent d’auteurs Afrodescendants ou touchant à des thèmes Afro. Depuis 15 ans, plusieurs lectrices et lecteurs se rencontrent autour d’un ouvrage. Voici un épisode.
La question de la lecture dans le cadre d’un club m’a toujours intéressé. Durant mes années fac, j’ai fait partie d’un groupe biblique universitaire. Chaque semaine, on se retrouvait avec un groupe d’une dizaine d’étudiants. On s’asseyait dans une salle de travail, on ouvrait un livre de la bible et on travaillait ensemble, on étudiait le texte sans avoir une direction précise, sans avoir un sachant pour nous imposer sa lecture. Chacun avec son histoire, son vécu, sa sensibilité apportait son regard sur le texte, apportant une lecture valorisée, enrichie de l’extrait étudié…
Cette introduction peut paraître surprenante. Surtout pour parler de cet après-midi du dimanche 11 décembre passé dans un très beau quartier de Paris, du côté de la rue St-Sauveur, pas très loin du quartier MontOrgueil dans le deuxième arrondissement. Mais, elle traduit mon intérêt pour les espaces où les gens se rassemblent pour lire un texte, pour partager autour d’un livre publié, soumis à des lecteurs. Mon attention est aussi portée sur l’action de Laurie Pezeron qui en 2007 a créé le club de lecture afro Read! Comment anime-t-on un tel espace ? Comment entretient-on la flamme d’un tel projet sur une telle durée sans baisser les armes ? La session à laquelle j’ai assisté est particulière. Elle est dédiée à la littérature jeunesse et le public concerné était avant tout des enfants entre deux et douze ans, accompagnés de leurs parents. Ce fut passionnant avec Laurie en parfaite maîtresse de cérémonie, lisant avec autorité et emphase trois livres de littérature jeunesse avant qu’Asmah nous propose une dernière lecture. 1h30 de lecture avant un goûter mérité.
Le moment est intéressant parce que cette question de la lecture des enfants est un enjeu crucial en ce moment de bascule où ces derniers sont plus que jamais tenus en laisse par des jeux vidéos et des applications mobiles. J’ai observé Laurie et la première leçon que j’ai tirée, c’est qu’on ne peut pas faire semblant avec les enfants. Il faut aimer la lecture et le pouvoir des histoires racontées pour passer ce type d’émotions. Le premier album jeunesse qu’elle a présenté Loup York d’Hélène Gloria ne traite pas d’un sujet simple. Une histoire de gentrification à New York, avec une jeune fille qui tente de s’opposer à l’action d’opérateurs immobiliers véreux et déterminés à dégager une vieille dame de son logis… Le héros de cette histoire est un loup bleu flanqué, dessiné, poché sur des objets, des murs et qui semble suivre Jess dans son enquête. Ce dispositif concentre toute l’attention des enfants qui visuellement s’attachent à ce marqueur de l’évolution de la trame. Jusqu’à ce qu’il finisse par s’incarner. Discours sur la fiction à même de devenir réalité. Bon, c’est l’adulte qui joue à interpréter le discours de l’auteure. Justement, ces dispositifs (personnages cachés à identifier dans chaque page), aident les parents à obtenir l’attention de l’enfant. On retrouve le même dispositif avec l’album Little Man d’Antoine Guillopin où le personnage récurrent est un enfant qui court dans une ville et rêve de traverser le pont de Brooklyn. L’ouvrage est plus beau, mais plus sombre aussi. Je pense aux violences policières aux Etats Unis, à Underground Rail Road de Colson WhiteHead ou encore Le vieil homme esclave et le molosse. En me représentant ce personnage qui court. Les enfants ont une lecture plus détendue, ils sont sous le charme de Laurie. Aucune transmission n’est possible sans implication totale des parents. D’ailleurs, je pense qu’il est vain d’offrir des livres à des enfants si dans leur environnement direct peu d’intérêt est porté au livre.
Après la deuxième lecture, Laurie propose un petit break. Dans chaque recoin de la salle, il y a des livres jeunesse. J’en lis quelques uns, très rapidement. Il y a quelques merveilles. Ceux qui décident de Lisen Adbridge. C’est un bijou. Avec une illustration simple, détaillée, des textes très courts, mais justes, l’auteur rend la complexité du rapport de force dans une cour d’école où une bande de gamins sème la terreur et décide de tout. Je vous concède que c’est un peu manichéen. Mais pas vraiment. Il est facile après la lecture de cet ouvrage avec votre enfant de savoir si on lui pique sa chocolatine au préau. Mais le symbolisme est tellement réussi qu’on peut y voir n’importe quelle autre oppression. Je ne vous parlerai pas de ce que je vois. Je parcours un ouvrage illustré consacré aux grands mots de Martin Luther King et son fabuleux rêve. J’ai posé quelques questions au public hétéroclite des parents. Satisfaits. Certains participent aux activités du club Read! depuis quelque temps, d’autres découvrent avec bonheur. Les enfants s’amusent. L’exercice de lecture est terminé.
Je suis sorti de ce moment ravi, avec une certitude : il y a un vrai prix à payer pour que nos enfants apprennent à lire, à savoir l’investissement des parents en créant des bibliothèques physiques ou numériques dans le foyer familial et en les faisant vivre. Il était intéressant de voir les enfants faire le tour de la salle pour picorer dans chaque livre jeunesse exposé. Une seconde certitude, quelque soit votre niveau d’investissement en tant que parent, il y a des mômes que cela n’intéressera pas. Mais, c’est une affaire de foi et je crois en la puissance de la semence plantée. De voir tous ces enfants se représenter la ville tentaculaire de New York avec deux de ces livres évoquaient, c’est une possibilité de voyage à laquelle l’enfant devenu adolescent ou adulte aura recours.
J’ai interviewé Laurie Pezeron. 52 minutes d’échange avec une femme que j’admire pour sa passion et sa persévérance. Elle évoque les conditions de la création de ce club de lecture, son évolution, certains moments importants et pose son regard sur le développement discret de clubs de lecture. Bonne écoute.
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