Oh ma belle vie coule dans les larmes
Comme le fleuve baise l’océan.
Dans le grand calme, sans le cri d’alarme,
Oh ma belle vie coule dans les larmes.
Mes champs se trouvent où chantent les armes
Mon bel avenir n’est que le néant.
Oh ma belle vie coule dans les larmes
Comme le fleuve baise l’océan. (P. 41 )
C’est pour moi un grand privilège d’analyser Enfers orientaux, surtout qu’il ne s’agit là que de la première parution de Norbert, un grand ami. Toutefois, c’est un exercice gênant, j’avoue. Depuis toujours, je savais qu’on en arriverait là, à parler de la renaissance de la littérature boyomaise tant les signes avant-coureurs la présageaient imminente. C’est donc cela, parler d’une œuvre qui se veut précurseure d’un grand réveil juvénile dans l’écriture livresque. C’est parti.
Avant toute chose, j’aimerais recourir à ces mots de Victor Hugo : « Tout homme qui écrit un livre, ce livre c’est lui. » pour signaler que ce recueil de poèmes, ces vers ne sont rien d’autre qu’une extraversion de pensée, des sentiments, mieux de l’être lui-même. Norbert nous offre son approche des multiples fléaux qui gangrènent la vie à l’Est de la RDC, plus encore sa vision du monde, qui est par ailleurs dupliquée, à la fois périlleuse et pleine d’espoir. C’est à cela même qu’il tient son titre Enfers orientaux.
Dès l’abord, le poète trempe sa plume dans l’encre rouge, très rouge ; le lyrisme engagé, agréablement varié, plonge dans un univers de sarcasme, de railleries, de ravages et de tourments qui persistent dans le quotidien de sa communauté. Le ton, très brutal, faisant preuve d’une forte fécondité poétique tendant à l’expression d’une gêne, d’un ras-le-bol, interpelle à l’action, à la bravoure, à la révolte collective. Je ne comprends pas pourquoi le poète n’a pas nommé cette partie. Si j’étais Norbert, je nommerais cette première partie Le brasier exaspéré, pour donner plus de caractère aux plaintes et lamentations qui naissent de ses mots… Ses mots, soigneusement choisis.
Si tout était soumis à la plume du poète, le monde serait plus beau à voir et la vie plus facile à vivre. C’est l’univers poétique le plus abordable et le plus simple que j’eusse connu.
Ce qu’il faut dire, c’est que la tristesse n’en finit pas de faire des poètes de plus en plus mélancoliques. La dernière fois que j’ai lu un recueil de poèmes date de l’année dernière. Le thème abordé était presque le même : la guerre. À la différence, l’un se limite à activisme humanitaire, à condamner ce mal ; tandis que l’autre, en l’occurrence Norbert, est à la fois avocat, juge et activiste. C’est cela, les poèmes de Katembo sont une sorte de pizza, tous les angles sont à tirer.
Comment ce jeune poète, à peine vingtenaire, aborde-t-il la question de la participation des jeunes dans la lutte pour le maintien de la paix et la résolution de conflits communautaires, de la liberté, bref de la vie courante ? Quoique chétive, l’appréhension du poète pousse à la conclusion suivante : tout homme, de chaque échelle de la société, a sa carte à jouer, fût-il grand, fût-il petit. Il l’évoque dans ce pantoum :
Écoutez le son des invocations
Adressé à vous, mes frères et pères
Pour une lutte de libération.
Écoutez le son des invocations :
Au secours à vous, fils de ma nation !
[…] (P. 39)
Dans ces vers, le congolais donne une sorte de réponse à l’appel à la parole des poètes lancé par l’écrivain malgache Thomas Rahandraha dans Poète tu parleras ; le poète, la voix des sans voix, a parlé, plaidé, condamné. Par la suite, il a montré la voie du salut, le remède habile à guérir la communauté de ses mots : l’unité et l’amour. Cette piste de solution proposée dans la poésie de Norbert s’avère la meilleure. À ce sujet, Hugo n’a-t-il pas dit : « le poète en des jours impies vient préparer des jours meilleurs » ? N’a-t-il pas ajouté qu’il voit quand tout le peuple végète ?
Patrick Isamene
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Merci mon grand chroniqueur Patrick. Je me sens honoré