Depuis plusieurs années, je lis des auteur(e)s nigérian(e)s comme Chris Abani, Chimamanda Ngozi Adichie, Helon Habila et Helen Oyeyemi avec un plaisir fou, sans parler des grands classiques comme Chinua Achebe, Wole Soyinka et Ben Okri. J’adore les romans policiers et j’ai une sœur cadette (non pas que nos relations ressemblent à celles entre Korede et Ayoola, les protagonistes du premier roman d’Oyinkan Braithwaite intitulé My Sister. The Serial Killer publié en 2017), donc plusieurs ingrédients de ce beau roman ont attiré mon attention. Et j’ai bien fait d’acheter et de lire cet ouvrage romanesque qui parle de relations familiales difficiles, de meurtre – certes, mais les meurtres sont un peu un prétexte à la découverte des liens familiaux. L’écriture des liens familiaux, en particulier entre sœurs, n’est pas nouvelle : des auteurs francophones comme Madeleine Chapsal (Deux sœurs), Annie Ernaux (L’autre fille), Dephine Bertholon (Le soleil à mes pieds) ou encore Yanick Lahens (La couleur de l’aube) et Chantal Thomas (Le testament d’Olympe), et des auteurs anglophones tels Karin Slaughter (The Good Daughter), Ian McEwan (Atonement) ou Alafair Burke (The Better Sister) ont traité de cette thématique de différentes manières.
Dans la saga familiale My Sister. The Serial Killer (Ma sœur. La tueuse en série), le premier personnage que nous rencontrons en tant que lecteurs est Korede qui, l’éponge à la main, nettoie de façon efficace le sang d’une des victimes de sa sœur cadette Ayoola, une jeune femme belle mais égocentrique. Il s’agit du sang du troisième petit ami que sa sœur Ayoola a tué en soi-disante légitime défense. Korede, en tant que sœur aînée, se sent obligée d’aider à couvrir les méfaits de sa sœur, chose qu’elle a faite depuis leur plus jeune âge sans trop s’inquiéter des conséquences. Ayoola, le sociopathe, la tueuse en série, est constamment adorée par les parents des filles qui semblent penser qu’elle est la plus belle des deux. Ayoola est certainement la favorite de la famille. Korede se sent méprisée et délaissée. Après tout, c’est elle qui doit continuellement résoudre les problèmes de sa sœur cadette qui ne réfléchit jamais avant d’agir. Un exemple suffit : lorsqu’Ayoola a fait disparaître son petit ami Femi, sa sœur lui dit :
« Tu n’es pas censée prendre des photos de ce que tu manges et les montrer au monde entier sur Instagram, surtout quand ton petit ami est introuvable ».
Tout bascule, le jour où Ayoola s’éprend de l’élégant docteur Tade dont tombe amoureuse Korode, personnage complexe et intrigant, infirmière dévouée et taciturne. Dès lors il s’agit d’un triangle amoureux classique, avec l’élément supplémentaire du couteau qu’Ayoola emporte avec elle lors de ses rencontres amoureuses. Si elle veut empêcher que Tade devienne la prochaine victime de sa sœur, Korode doit agir sans attendre. Pourra-t-elle sauver son seul amour en trahissant sa sœur ? Pour savoir ce qui se passe à la fin du roman, vous allez devoir le lire. Je ne voudrai pas gâcher votre plaisir de lecture en vous dévoilant la fin. Désolée !
A travers des chapitres amusants, comiques et bien structurés, Braithwaite exploite pleinement quelques éléments typiques de la ville de Lagos : les embouteillages, les flics, la pluie torrentielle – pour donner à l’histoire des deux sœurs audacieuses à l’extrême un sens du lieu remarquablement puissant. La culture et les traditions nigérianes y sont évoquées avec subtilité, comme par exemple la canne en bois du père dont l’héritage de violence se transmet de génération en génération, ou les mariages forcés avec les chefs coutumiers. Les titres des chapitres sont, comme les chapitres eux-mêmes, brefs : un ou deux mots au maximum pour situer l’épisode (Bleach – eau de Javel, Body – corps, Heat – chaleur, Traffic – circulation, Knife – couteau, Red – rouge, School – école, Stain – tache, Home – maison/foyer, Flaw – défaut, Bracelet – bracelet, Time – temps, Truth – vérité, etc.). Quelques titres seulement sont répétés : The Patient and Father. L’importance du père et son influence sur le comportement de sa fille cadette sont liées au nombre de fois que Père (Father) figure comme titre aux chapitres.
My Sister. The Serial Killer a remporté le prix 2019 du LA Times pour le meilleur thriller, le championnat du livre du Morning News 2019, a été sélectionné pour le Prix de la fiction pour femmes 2019 et, plus récemment, pour le prix Booker. Ce roman place la relation entre deux sœurs au cœur, avec des hommes comme personnages secondaires (Muhtar, le patient dont s’occupe Korode, et victimes d’Ayoola), qui peuvent ou non rester vivants à l’acte final, et qui a été salué comme une riposte à la fiction policière « traditionnelle » où l’intrigue est si souvent basée sur la mort horrible de jeunes femmes. Cette œuvre littéraire décrit clairement les sentiments que peuvent éprouver des sœurs : parfois elles se détestent, parfois, elles ne se parlent même pas, mais pour des choses importantes ou lorsqu’une d’elles se trouve dans une situation difficile ou dangereuse, elles se soutiennent à cent pour cent. Quoi qu’il arrive, l’une sera là pour l’autre. Que feriez-vous dans une telle situation ? Allez-vous protéger votre sœur coûte que coûte ?
Ce premier roman, vous l’avez compris, m’a beaucoup plu. J’attends donc avec impatience un prochain de cette diplômée en droit et en création littéraire de l’Université de Kingston. Aujourd’hui elle vit à Lagos, au Nigeria, et elle travaille en tant qu’auteure et rédactrice pigiste. En 2014, elle a été sélectionnée parmi dix artistes slammeuses lors du Eko Poetry Slam. En 2016, elle a été finaliste du Commonwealth Short Story Prize pour sa nouvelle intitulée The Driver.
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