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La malédiction - Pius Ngandu Nkashama (2018)
1983 : Pius Ngandu NKashama publie La malédiction, Tchicaya U Tamsi publie Les méduses, Sony Labou Tansi publie L’Anté-peuple. Recherches littéraires intenses. Fécondité de la forme romanesque. Prendre la parole. La faire résonner dans les Congo(s).
By Sonia Le Moigne-Euzenot Posted in RDC, Roman, Sonia Le Moigne Euzenot on 27 mai 2020 4 Comments
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Je te construis un antre de pierreries
Avec des essaims de frelons qui bourdonnent
Dans la terre glaise terre de malédiction (I,23)

La malédiction de Pius Ngandu Nkashama

La malédiction ! Quel titre ! Un fatum, d’emblée posé comme fil conducteur du récit ! Quelle invitation à la lecture ! D’abord paru chez Silex en 1983, publié en 2018 par Panafrika / Silex / Nouvelles du Sud en coédition avec Les Nouvelles Editions Numériques  Africaines, La malédiction de Pius Ngandu Nkashama n’y va pas par quatre chemins. Ce qui sera raconté est le fruit d’une malédiction : les personnages en sont victimes, les évènements en portent la marque.

Un narrateur, adulte, remonte l’histoire de sa vie depuis sa petite enfance. Cette vie pourrait ressembler à celle de beaucoup d’autres, à ceci près que, parce que cet enfant nait et vit au Congo-RDC, elle ne peut être celle dont le cours suit la voie qu’il a choisie pour lui-même et par lui-même. La malédiction décide pour lui :

la malédiction a commencé son œuvre de dévastation (I,21) 

Son amie d’enfance, celle dont il sera toujours amoureux, lui explique :

Elle me parla avec tendresse, avec affection. Elle m’apprit qu’il y a deux mondes différents. Un pour les blancs et un autre pour nous les noirs. Son père est boy chez un blanc, et il leur apporte souvent des bonnes choses. (I, 16)

Chaque moment de la vie du narrateur est lié à l’histoire de son village, à l’histoire de son pays. Il l’est bien davantage qu’à celle de son père, travailleur-esclave dans les mines de diamants, qu’à celle de sa mère si tendre ou à celle de sa sœur tant chacun de ses efforts pour construire sa vie dépend de la vie politique du Congo. Sa vie, mais aussi celle de tous les autres personnages. D’ailleurs à chaque étape de son existence correspond une étape historique de la colonie belge devenue Congo-RDC. Le déroulement de son histoire personnelle se mêle au déroulement de l’Histoire.

Le livre découpe ainsi l’Histoire du Congo-RDC depuis la présence des blancs colonisateurs jusqu’à nos jours. Quatre parties le composent : le Moyen-Âge (=l’enfance du narrateur), les Temps modernes (=les études et l’expérience du travail), l’époque contemporaine (=le premier mariage, le divorce, le travail), la fin des Temps (=le second mariage, la prison). Mais dit comme ça, je ne donne qu’un cadre narratif. Pius Ngandu Nkashama, quant à lui, réussit l’exploit de faire coïncider les étapes de la vie d’un homme avec celle de son pays. Le Congo-RDC est un jeune état, sa durée d’existence peut encore tenir dans celle d’une vie humaine. Ici, pourtant, il ne s’agit pas d’un artifice esthétique : le narrateur fait l’expérience de toutes ces étapes, sa vie concentre toutes les formes de malédictions. Elles sont issues de la toute première : commencer par amputer le temps d’avant ce que l’auteur nomme : Le Moyen Âge.

En choisissant de relever un tel défi littéraire, La malédiction ne cache rien du quotidien terrible du narrateur. Il ne s’agit pas pour lui de produire « un effet de réel » mais de dire la réalité. Le Congo est riche de ses diamants mais ses habitants n’en tirent aucun profit. Ils sont soumis à l’arbitraire, aux exactions, aux injustices sans pouvoir se soustraire à ce que le narrateur nomme « le destin ». Le destin ? Dans ce livre, le destin est identifiable. Il prend d’abord la forme du dictat des blancs, étonnés de la révolte de certains. Le père instituteur du collège dit en effet :

Songez un peu à ce qu’aurait été ce pays sans la présence des blancs. Et ce collège, aurait-il existé sans nous ? Ce sont des ingrats, des enfants égarés, inspirés par le diable. Dire que la plupart d’entre eux sont de nos anciens élèves, à qui nous avons inculqué des rudiments de la civilisation humaine (I, 6)

Le destin passe ensuite entre les mains des militaires dévoyés :

Cependant, le drame éclate. Nos sentinelles nous ont trahis. Tout autour de nous, des fusils crépitent en l’air. Le feu monte, monte. Il rejoint les étoiles. Pendant qu’une voix s’élève. Sommation. Nous savons ce qui nous attend. Sept ans de prison ferme. Nous sommes entourés de partout. (III, 2)

Le « nous » est celui de mineurs qui risquent leurs vies pour extraire le diamant de la terre qu’ils creusent.

La langue est incisive. Les phrases sont courtes. L’expression est directe et c’est la force de cette écriture qui évite tout psychologisme inutile. L’auteur donne des faits, n’hésite pas à court-circuiter les enchainements narratifs pour pointer l’essentiel : la douleur des victimes de tel éboulement dans le labyrinthe de la fouille des précieux cailloux, celle d’un père torturé devant sa famille impuissante et terrifiée, celles de la femme du narrateur et de ses deux filles mortes dans l’incendie volontaire et criminel de leur maison.

La portée philosophique de ce texte passe aussi par le recours à d’autres voix que celle du seul narrateur qui peut déléguer sa parole à celles de quatre vieillards. Elle emprunte au besoin d’autres voies littéraires quand il entonne telle chanson, évoque tel poème. Ce texte frappe par sa modernité esthétique. Le tchiluba perfore le français à plusieurs endroits du texte. Le tchiluba ne se tait pas. L’auteur ne « traduit » pas : les deux langues se côtoient parce que deux mondes se côtoient. Et lorsque le narrateur remercie ses bourreaux dans les deux langues, il semble bien qu’il est à la fois, et en même temps, lui-même et son pays, enfant du Congo, maudit à cause de ses richesses :

Ma terre essaie de me dévorer. Telle est ma malédiction. Celle de l’enfant qu’éventre sa mère. Horreur et infanticide. Malédiction(I, 25) et fils d’une mère qui n’a pas pu, pas su le protéger :

o ma mère toi qui m’aimes tant
toi qui étais toute affection pour moi
pourquoi m’as-tu abandonné
à la malédiction
pourquoi la peur m’accable-t-elle
pourquoi la douleur dans mon cœur (V, 4)

La malédiction qui pèse sur le narrateur et la grande majorité des personnages de ce livre plombe l’espoir. C’est la prose poétique de Pius Ngandu Nkashama qui parvient à déjouer subtilement, insidieusement ce destin quand bien même il est si lourd à vivre. Sa force émotionnelle tient dans la déclaration d’amour à un pays somptueux mais meurtri :

Le soleil chante à la brousse son clairon de parade. Les cloches sonnent au fond des puits. L’odeur de la terre me semble fétide. Au-delà, le ciel gronde l’enfantement du malheur. Nos guenilles flottent sur nos corps décharnés. Ainsi passe la caravane des serviteurs de l’or. Ou plus exactement ceux du dieu diamant. Le sourire s’est éteint au coin de la bouche. Le rire devient un véritable trésor, plus rare que nos cailloux précieux. Nous avons sur la langue le goût amer des fruits confits. Marche, soleil rouge ! Vers où ? (II, 15)

Ce livre est une preuve d’amour indéfectible au Congo-RDC.

Sonia Le Moigne-Euzenot

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