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By Fatou Ghislaine Sanou Posted in Fatou Ghislaine Sanou, Nigeria, Roman on 5 décembre 2019 2 Comments
Titre original : Born on a tuesday
Il est cinq heures du matin. Je suis à M… depuis deux jours seulement, disons presque trois. Je viens de terminer Né un mardi d’Elnathan John. Une boule au ventre. Elle était déjà là avant mon arrivée. Depuis l’avion je crois. Ce livre m’a fait peur. Je voulais finir la lecture mais quelque chose me retenait les doigts sur les pages, les dernières, celles du chapitre V. Certainement cette boule. À peine réveillée pourtant assez lucide pour décider d’en finir avec elle. J’écris « elle » mais je ne sais plus s’il s’agit de la lecture ou de la boule. Enfin… je m’accroche pour voir ce que le narrateur a décidé pour Dantala, non plutôt Ahmad. Disons Black Spirit. C’était son dernier surnom. Disons dans ce récit. Comment sortir de ce livre indemne ? Ce sera probablement mission impossible.
« Je me demande si Allah est parfois comme moi, qui n’ai pas toujours le pourquoi, un plan, une raison à toute cette souffrance. Aujourd’hui si Allah veut bien m’entendre, je voudrais qu’avant de mourir Il m’envoie une personne qui écrira mon histoire, comme la femme qui a écrit celle de Baba de Karo. Je trouve ça bien que, longtemps après votre mort, des gens puissent encore lire des histoires de votre vie. » (253)
Vivre à Bayan Layi, fumer de la wee-wee, puis fuir, quitter sa famille pour rejoindre la ville de Sokoto et y apprendre l’anglais, faire face à l’extrémisme religieux dans un moment de sa vie où on est à peine sorti de l’enfance. Voilà le projet de texte que nous propose E. John. Ce premier roman (traduit par Céline Schwaller) lui permet de nous donner à lire toute la question de la liberté de pensée et d’expression dans un monde de violence (c’est peu de le dire !). Vu du haut de ses 16 ans, le monde que décrit Dantala fait oublier par moments les joies que la vie peut offrir. Les tensions entre communautés religieuses irradient la naïveté seulement apparente du discours du jeune protagoniste. Son journal qui s’insère dans la narration dévoile les pans de son parcours, ses réflexions, ses questions, ses secrets…
« Parfois un homme quelqu’un me demande pourquoi je fais quelque chose ou pourquoi je dis quelque chose et je n’aime pas ça. Parce que ce n’est pas toute fois chaque fois que personne je vais savoir le pourquoi. » (155).
Néanmoins on peut s’accrocher à la vie, par exemple à l’amour de sa mère qui a perdu l’usage de la parole, au souvenir de ses frères qu’on a quittés malgré soi, ou à son meilleur ami Jibril qui lui apprend l’anglais, ou encore l’amour d’Aicha « [qui] est dans [s]on cœur comme un esprit » puisque le sang versé ne peut plus être ramassé. Il faut donc reconstruire, se re-construire. Devenir un homme. Cela semble plus facile à dire qu’à faire. Pourtant la vie ne nous laisse pas souvent le choix. Et Dantala (signifiant justement « né un mardi » en haoussa) va s’en rendre compte. Il faut se battre, et il nous le démontre avec sa rage de changement. Passer de la vie de délinquance à celle de jeune homme conscient de choses graves autour de lui, il décide de se prendre en main au point de devenir muezzin grâce à Sheikh Jamal.
En s’inspirant de l’histoire de son pays d’origine le Nigeria, E. John livre une histoire qui vous saisit, vous happe par les tripes du début jusqu’à la fin. La légèreté de la langue contraste bien avec la gravité du sujet, notamment l’intégrisme religieux nourri de pratiques politiques très douteuses au sein du « Grand Parti », avec des répercussions sur le fonctionnement de la mosquée.
En attendant sa mort après avoir été arrêté, Dantala me fait penser à l’histoire du premier ambassadeur noir en mission au Vatican décrit par Wilfried Sondé dans Un océan, deux mers, trois continents que j’avais lu quelques semaines auparavant. L’attente de la mort. L’appel de la mort pour l’un. L’espoir de rester en vie pour l’autre. C’est peut-être cela le sens de la vie. Mais dans quel sens ? Je ne comprends pas moi-même tout ce qui arrive. Certainement qu’il ne faut pas chercher à tout comprendre. Même pas cette boule. Sa naissance, sa présence, sa disparition quand j’écris progressivement ces lignes. Ma tête a fini par accepter d’achever le récit de Dantala. Au fond, je crois que j’avais peur de le voir mourir. Je n’avais pas ressenti cette crainte depuis la lecture de L’Aventure ambiguë au collège. Pourquoi cela m’arrive-t-il encore rien que maintenant ? Dieu seul sait.
Pour le coup, je finis la toute dernière page sur une note d’espoir comme Dantala qui doit se couper les cheveux, « puis prendre un bus et aller là où il [l’] emmènera ». En espérant lire un autre roman de E. John plein de profondeur et de sensibilité. Très bientôt.
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Oui, le parcours de Dantala est particulièrement intéressant.Le sujet de la religion est tellement sensible et…douloureux en ce moment. Comment ce très jeune homme se construit, semble manipulé alors même qu’il est persuadé de faire le bien, alors même que ces deux frères semblent, eux, faire fausse route. Oui, comme toi, ce livre m’a dérangée, perturbée… Ce livre laisse des traces. Indéniablement. C’est un vrai moment de lecture. Sa qualité littéraire y participe largement.
BRAVO, votre critique rejoint mon ressenti tout au long de ce livre ÉPOUSTOUFLANT, qui reste collé au coeur sans parvenir à le lâcher, on reste aimanté à cet auteur qui a réussi à faire de Dantala, un héros, dédié à ces Étoiles sans nom qui porte leur foi avec Grâce 💖