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By Gangoueus Posted in Gabon, Gangoueus, Poésie, Récit on 24 août 2022 One Comment
Eliwa, la nouvelle utopie, #LoSyndicat (2022)
Editions Dacres, Collection Les Powêtudes, 176 pages
L’intérêt des rencontres littéraires réside en quelques éléments : la dédicace ou la personnalisation de l’oeuvre par son auteur pour un lecteur précis, la possibilité d’entendre le poète s’exprimer sur son travail avec deux scenarii envisageables. Le premier – en mode découverte – correspondant au fait que moi, Gangoueus, ne connais rien du sujet traité et que j’ai un peu de temps pour me laisser séduire par le discours du poète, la profondeur de sa pensée, son charisme. Pressentir ainsi son univers et prendre le parti risqué de rentrer dans sa tanière. Bon, il faut avoir du temps pour cela. Le second – en mode hardworker du game – c’est l’opportunité après lecture, de mieux comprendre le travail de l’artiste. Je me dis que cette démarche s’impose surtout pour la poésie, parce que souvent, les adeptes de ce genre procèdent par codes qui ne sont pas toujours identifiables ou accessibles au commun des mortels. La rencontre littéraire peut permettre de lever des zones d’ombre, comme ce fut le cas au Jip’s bar, au coeur de Paris, le 30 juillet dernier, avec le collectif #loSyndicat pour la parution d’Eliwa, la nouvelle utopie.
La poésie se pose partout où on essaie de discerner le simple, de le dépasser, de transcender ce qui est perceptible par nos sens, partout où on veut exprimer avec un peu de beauté le monde, une fêlure intérieure, une sourde rage ou inventer de nouvelles trajectoires par des balbutiements que l’on tente toutefois de rendre audible. Eliwa, c’est un peu tout cela. Je me suis plongé dans cet ouvrage collectif dans lequel quatre poètes gabonais refondent un monde avec du vieux. Rien de méchant dans ce que je dis. Au contraire, j’aime la démarche de Cheryl Itanda, le directeur artistique du #LoSyndicat (parole entendue au Jip’s), sorte de cénacle de la nouvelle poésie gabonaise, Bénicien Bouschedy écrivain et universitaire, Nanda La Gabona, slameuse de talent, figure incontournable de ce mouvement et Le Presque Grand Bounguili, en pilote pour ne pas dire gourou.
Je suis d’abord revenu sur ce mouvement en questionnant LePresqueGrand Bounguili sur la genèse de ce groupe qui rassemble huit poètes gabonais. Au commencement, il y a Souffle équatorial, un recueil collectif de poésie publié en 2019 puis trois festivals en ligne de poésie : Les Powêtudes. Il y a aussi La Semaine Considérable qui célèbre la pensée musicale de Pierre Claver Akendengué. Le poète chanteur est la figure tutélaire de ce mouvement littéraire porté par un engagement social, il est le grand totem qui inspire la démarche de ces poètes. Il faut donc creuser le répertoire de ce chantre d’une Afrique certaine d’elle-même, composant ses chansons dont plusieurs sont devenues des classiques de la musique africaine. Creuser pour comprendre #LoSyndicat. Cette fascination pour Akendengué interpelle l’observateur que je suis. Elle nous dit que l’important, le succès d’une entreprise de création n’est peut-être pas dans le nombre de rencontres qu’elle autorise, mais plutôt essentielle par la qualité de ces dernières, et toute personne impliquée dans un projet artistique ne doit jamais oublier cette dimension. Fin d’aparté. Le propos du #LoSyndicat est donc politique dans son sens premier. Ne me dites pas que toute prise de parole sur une place publique est politique. #LoSyndicat questionne la perte de certaines valeurs ancestrales, de pratiques particulières, la désertion, la trahison. Je me focalise sur Eliwa.
Il s’agit au départ du titre d’une chanson de François Ngwa, artiste musicien gabonais. Je suis de nouveau obligé de m’arrêter pour rappeler que c’est encore un artiste musicien qui inspire les poètes. Il y a là quelque chose qui mérite exploration dans le champ des littératures africaines. Parce que des artistes musiciens aux Congo nourrissent la muse d’écrivains comme Alain Mabanckou, Henri Lopes ou Blaise Ndala pour ne citer que ces exemples. Eliwa, dans une langue du Sud du Gabon, c’est le lac, le grand étang. Dans cet ouvrage, les poètes vont regarder les constructions perdues, convoquer des rituels d’antan ou qui survivent tant bien que mal. Le premier à parler est Cheryl. Il appelle des éléments pour tenter de construire une utopie qui prend plusieurs tournures. Par exemple, celles d’une connexion immatérielle entre l’Afrique et sa diaspora par un panafricanisme porté de proche en proche par des vents si différents que sont l’harmattan, le sirocco, les tempêtes de mer…
Ompunga, Ompung’ilendo, Ogooul’igôwô, Ompungavunguè
Lève-toi et par ta morsure féroce grande
Emmène-moi caresser l’insolence et la vigueur des mondes
Lève-toi vent des quatre vents
Chante ces temps et ceux d’antan
Remémore-toi les masques perdus de tes siècles
Carillonne la terre et les veillées dans ses cercles.
(p.22)
Formule magique ? Oh que non ! Autres lieux, autres procédés. Le poète parle, convoque. Parce qu’il a entendu quelque chose, quelque part… Et tente-t-il de ressusciter des moyens anciens pour des solutions nouvelles et faire face à la modernité. Il faut qu’il l’ouvre, qu’il parle. Les animaux participent à ce cri, à ce discours. Comme Akwakidéké, l’oiseau imposteur qui s’extasie avec ironie de la désertion de l’arrière-pays gabonais par ses populations appauvries ou encore le chant de Nguwu, l’hippopotame, comme pour mieux convoquer une forme d’animisme. Après avoir introduit le premier cycle de la lune, une première humeur.
Il y a chez Cheryl Itanda et Benicien Bouschedy une volonté d’inviter différents rituels, plusieurs codes s’appuyant sur un désir de reconstruire en faisant fi de l’épisode colonial. En tout cas, ma lecture sur la question suscite un recul critique en invitant Chinua Achebe dans la discussion. Un monde s’effondre dit une rencontre qui s’est mal passée. Une rencontre qui continue de mal se passer. Deux mondes se rencontrent. Quelles sont les fêlures des différentes parties ? Sur quoi se développe l’effondrement que constate Achebe : certains errements du système de valeurs et de culture sont transposables à de nombreuses aires régionales du continent Africain au contact de l’Autre. J’insiste : certains errements. Peut-on proposer une utopie s’inscrivant dans une reconstruction de ces philosophies de ces rites igbo, omyené, luba, agni, yambassa sans poser la question de leur faiblesse devant les traites négrières, les collaborations induites, la colonisation européenne ? Dans ce papier où j’exprime à la fois ma lecture de cet ouvrage collectif et la rencontre avec les poètes concernés au Jip’s de Jeannot Bonini, une autre problématique est apparue quand une personne présente dans l’assemblée souligne le fait qu’en tant que Fang (ethnie du nord du Gabon), il n’avait pas accès aux codes exprimés en omyéné ou en bahumbu. Quelle jointure est possible dans cet espace gabonais hérité de la rupture historique de l’occupation occidentale. Peut-on connecter des rites que les langues séparent ? Comment agencer les différents univers, les différentes pratiques, avec quelle médiation? Autant dire que l’utopie proposée introduit donc de nouvelles questions intéressantes.
Disons-le tout de suite, je ne suis pas forcément précis dans mon analyse de ce texte singulier. Subjectivité du lecteur et poésie font un. Je mets volontairement l’accent sur des aspects du discours du #LoSyndicat qui me parlent. La prise de parole de la slameuse Nanda a une place particulière sous cet angle. D’abord, il faut dire que si LePresqueGrand Bounguili est en quelque sorte le maître à penser ou le coordonnateur du #LoSyndicat, Cheryl Itanda le directeur artistique et le logisticien, Nanda la Gaboma est l’âme de ce groupe. Non, pas l’égérie. Mais l’âme. Son absence nous a rappelés qu’elle est désormais sur le terrain de la réalité gabonaise, loin du propos des exilés.
J’ai retenu quelque chose de fort dans sa poésie (Pleine lune) :
Cette nuit encore Mènè chante.
De son plumage noir espoir
Elle appelle l’aurore et ses rayons
Elle chante pour y croire
Depuis que les coqs se sont tus
Elle a dû ouvrir le bec
Et lancer ce chant qui au fil des jours n’est plus un cri
Disons qu’elle l’ouvrait déjà
Mais son chant noyé par le bruit des guerres testostérones
n’était que peu audible
On n’y prêtait point attention
Dans cette contrée de la mort
La femme n’était plus rien
Effacée, elle n’était plus qu’un objet parmi les objets
Poupée à exhiber
(p.87)
Je m’arrête à ce niveau pour poser une première remarque. En tant que lecteur, je suis particulièrement attentif à la prise de position des femmes sur ce type de sujet. Tout de suite, la posture est concrète. La notion même d’utopie est rassemblée dans le “mènè” en omyènè, c’est-à-dire que Nanda commence par traduire dans sa langue l’idée, la démarche. Peut-on faire plus concret ? Avec la manière poétique naturellement, elle ne saurait faire autrement. Doit-on s’en plaindre ? Question insensée. Qui dit utopie, dit espérance fragile mais espérance tout de même. On a beau dire, les cerbères du capitalisme ont beau se pavaner sur les médias occidentaux, le communisme a été une utopie remarquable qui a fourni parmi les sociétés les plus justes de notre planète. Eliwa pourrait être une rampe de lancement. Mais encore faudrait-il se défaire de schèmes de pensée exogènes. “Mènè” donc. Mais son propos sera-t-il écouté ? Nanda en a conscience et elle le dit pour prévenir la discrimination. C’est de cela dont il s’agit.
[…]
Elle disait aux commères bien en face
Là où coule Eliwa
La parole est féminine
Et le courage porte une paire de seins
Quand les mâles flanchent, les femelles prennent le relais
Elle leur demanda qui enfanta et enfante le mâle ? (p.89)
Tout est dit n’est-ce pas. Relire le patriarcat. C’est l’étape suivante à partir de laquelle on peut avancer, concevoir mais surtout transmettre.
“Elle chantait afin que jamais ne se perde le chant sacré”.
[…] La femme est la gardienne des mystères.
[…] Qui enseignera le chant à ses petits coqs quand sonnera l’heure ?
Avoir donc un moteur conçu par soi-même et une courroie de transmission pour initier un mouvement avec une direction précise c’est un peu l’idée de ce projet inclusif. D’ailleurs, LePresqueGrand Bounguili dispache dans Nouvelle lune une synthèse qui va dans ce sens et produit plusieurs définitions d’Eliwa. Bon, j’ai été un peu long. Mais le sujet est très intéressant même si on ne peut pas ignorer certaines de ses limites.
Gangoueus
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Non ce n’est pas long, on en veut plus. Je me suis dis « ha mince c’est déjà fini! » Merci pour cette lecture de l’œuvre et pour le travail littéraire