menu Menu
Indisciplinées, Essie Kelly (2025)
Un point d'ode à la liberté
By Jean Noel De Koigny Posted in Côte d'Ivoire, De Koigny, Non classé, Roman on 28 juillet 2025 0 Comments
Previous Dieu n'est pas con, Destin Akpo - 2022 Next

Essie Kelly, Indisciplinées,
Roman, Éditions Continents,
décembre 2024, 155 pages.

D’une main ingénieuse, elle trace le portrait de deux femmes « insoumises » pour ne pas dire « indisciplinées », débute son récit par « Il fallait que les temps soient troubles », et c’est là, sans nul doute, que commence la saveur exquise de la fiction de cette romancière. Ou pour mieux dire : l’exceptionnelle composition de Indisciplinées m’a impressionné. L’on se met à lire tout bonnement cette œuvre, le nez dans le cœur des pages, et l’on est happé dès les premières… par le ton gracieux exempt de toute aspérité ; ses vérités qui s’élèvent à hauteur de l’éloquence, ses idées retracées avec une simplicité poignante, son style qui se distingue par la pureté, et surtout, sa poésie — qui est un tour de force inouï, même si son abus cause quelque tort à son entreprise narrative.

« Ce jour, j’étais apparence. Miroir gris qui réfléchissait un ciel de grêle jusqu’à l’horizon. » (P. 18)

Dans ce dernier roman qui se lit avec envie, l’écrivaine franco-ivoirienne interroge la condition féminine, l’oppression patriarcale et les formes subtiles de résistance de celles qu’on a réduites au silence. L’action se situe à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Le roman raconte l’histoire croisée de deux femmes enfermées « à l’ombre de la vie », dans un commissariat. La première femme est accusée de « trouble à l’ordre public, exhibitionnisme… », après avoir décidé d’entreprendre une marche militante suite à un abus subi de la part d’Aristide, son amoureux, qui l’a contrainte à avorter. La seconde est en détention pour avoir privé son fils, Aimé, de son père, Gustave, qui n’a pas reconnu la paternité de cet enfant. La place de la femme serait-elle en prison, s’interroge une voix ? Ces deux femmes se sont frottées à des hommes lâches et d’une mauvaise foi épouvantable.

« Peu importe la pression, je n’étais pas prête à perdre ma dignité pour avoir un homme à mes côtés. Je savais que mon moi avait soif d’un nous tandis que les hommes ne veulent qu’un je. Qu’on joue leur jeu établi selon leurs règles. » (P. 15)

C’est à travers ces deux vies en miroir qu’Essie Kelly tisse avec finesse son récit de cent cinquante-cinq pages, où les corps se taisent tandis que les pensées de ces femmes, qui « se dressent devant l’oppresseur quoi qu’il puisse leur en coûter », se rencontrent et s’entremêlent.

Indisciplinées se présente comme une œuvre audacieuse qui illustre un dialogue silencieux entre deux femmes aux parcours parallèles, mais unies par une injustice commune : le patriarcat. À travers le principe de la télépathie, Essie Kelly, qui a choisi la réclusion comme toile de fond de son roman, tout en explorant la notion de liberté, établit une communication saisissante entre ses deux personnages qui sont, finalement, des femmes qu’on rencontre tous les jours. Derrière les voix silencieuses de ces deux femmes qu’Essie Kelly choisit de ne pas nommer, se manifestent de nombreuses femmes enfermées dans des rôles prédéfinis par la société patriarcale . Indisciplinées d’Essie Kelly est ainsi une réflexion sur les normes sociétales qui ont l’air d’une prison pour la femme.

« Je ne serai jamais une femme parfaite et j’étais prête à l’assumer : celle que la société attendait de moi n’éclorait jamais. » (p.16)

« J’ai faim de liberté, j’ai faim de droits, j’avance le poing en l’air en signe de revendication » (p.154).

« Je ne veux pas être soumise, ni aux hommes ni à leurs règles libertaires qui ne s’appliquent qu’aux femmes. Je veux donner ce que je veux à qui je veux, qu’il s’agisse de mon amour, de mon amitié ou de mon corps. Peu importe qu’on me traite d’inconsciente ou de catin. » (p.153)

En résumé, Essie Kelly nous signe là un agréable roman qui occupera un rang distingué parmi les rares récits lisibles de notre littérature ; mais je lui conseillerais volontiers de se trouver un éditeur à la hauteur de son talent, qui serait à même d’épargner à ses lecteurs quelques nullités stylistiques et lieux communs qui font sourire :

« Baignant dans mon pagne trempé de sueur, mon âme crevait et ne savait sur quel pied danser. » (P. 16) ;

et surtout, les nombreuses coquilles se taquinent à cœur joie dans son livre – à commencer par la quatrième de couverture.

Jean-Noël De Koigny, journaliste, chroniqueur littéraire

Visit Us
Follow Me
20
Whatsapp
Tumblr

editions continents essie kelly femmes Independance liberté révolte


Previous Next

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Cancel Laisser un commentaire

keyboard_arrow_up