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Logo Chroniques littéraires africaines

Se plonger dans les imaginaires d'afrodescendants et des continents noirs

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Caviar mou -  Sybil Tchédré (2022)

Le colorisme, la colère tue 

Caviar mou, Sybil Tchédré
Editions Continents, Coll. Fil bleu, 2022

Ce récit commence par une femme qui regarde une autre femme. On est à Munich, en Bavière, dans un bureau de poste. On comprend qu’elle est Africaine, métisse, claire de peau. Elle se définit comme voluptueuse. Sans surcoter son charisme, elle est consciente de sa beauté et de l’effet du pouvoir de son corps qu’observe la jeune femme sans aller jusqu’à la croisée des regards.

« Ce matin-là, j’étais en train de me dire que le service […], lorsque j’aperçus cette jeune dame dans la queue voisine; celle qui mène au guichet de transfert d’argent. Un rayon de soleil lui barrait la moitié du visage. L’autre moitié visible n’avait rien de particulier : un nez un peu trop démesuré, une peau trop grasse qui laissait voir de  loin maints boutons d’acnés sur sa pommette saillante.  Sa tête paraissait énorme pour un corps aussi chétif, qu’elle brandissait tout de même avec fierté. Seule la noirceur de sa carnation ébène était agréable à la vue. La jeune fille possédait une peau noire digne de celle des femmes des pays du Sahel, mais dont la teinte violacée faisait plutôt penser aux peuples de certaines régions de l’Est africain. » (p.15)

Dans ce premier chapitre, Akpéné s’exprime sur ses fragilités. Alors, on peut se demander pourquoi son regard sur une jeune femme noire aperçu dans un bureau de poste, ayant le profil d’une étudiante qui doit toutefois faire face aux attentes d’une famille restée en Afrique, suscite cette introspection.

« […]Elle avait quelque chose d’inhabituel qui titillait ma curiosité et me dépouillait de mon assurance.
Pour cette sordide inconnue, dont j’ignorais le nom et les moeurs, j’étais prêt à me mettre à nu, pour qu’elle observe mon âme et qu’elle comprenne que la contenance que j’affichais n’étais qu’un masque sous lequel faisandait une plaie incurable. » (p.17)

La question de l’immigration sera au cœur du récit. Du moins, on peut le penser à ce stade de la narration. Elom (telle qu’Akpéné a choisi de se définir en Allemagne) a besoin de parler. Elle aimerait tant croiser le regard de l’autre, avoir l’opportunité de connecter et de dépasser les masques, les apparences. Parce qu’elle est en souffrance.

Quand commence le second chapitre, je pense être plongé dans une autre nouvelle. Je crois que Caviar mou est un recueil de nouvelles ou de récits et que la chute du premier chapitre tourne sur les improbables attentes d’une immigrée togolaise en attente de rencontre. En effet, le chapitre met en scène une fille de neuf ans, dans son environnement familial au Togo. Elle est différente. Je pense qu’elle est albinos. Peut-être parce que j’avais lu dans le passé, une nouvelle de Kangni Alem, éditeur de Sybil Tchedre et que je fais une trop facile association d’idées. Mais, en y regardant de plus près, un événement brutal à l’école que fréquente cette jeune fille va générer un traumatisme profond. Les deux chapitres sont donc liés.

On pourrait parler d’albinisme, de colorisme, de métissage. Des sujets très présents au cœur des débats portant sur l’identité au sein des diasporas africaines. Le personnage que Sybil Tchédré articule, parle des non-dits autour de sa naissance, du rejet dont elle a fait l’objet dans son enfance. Le colorisme a peut être de nombreux avantages pour les personnes claires de peau dans toutes les sociétés. En Afrique. En Europe. Ailleurs. Les mécanismes de hiérarchisation des standards de beauté hérités de la période de l’esclavage et de la colonisation expliquent ces courses autour du décapage ou au métissage. Mais, ce n’est pas le sujet de Sybil Tchedre. Elle rejoint Henri Lopes sur les brutalités psychologiques subies par certains métis en Afrique. La honte de ce qui ne peut pas être dissimulé et que la famille peine à assumer parfois. La problématique d’une absence. Du moins, dans le cas du personnage de ce récit : Caviar Mou. L’exil est-il une solution ?

« Cela fait dix-huit ans que j’habite en Allemagne. Je suis tellement intégrée dans ce pays qu’il m’arrive par moment d’oublier qui j’étais auparavant. Ici, personne ne sait rien de mon statut de bâtard. Personne ne rit à mon passage… Tout au contraire! Je lis l’émerveillement dans les yeux des hommes et du mépris dans ceux de certaines femmes. » (p.66)

Il est important de dire que ce texte a été publié chez l’éditeur togolais Continents, dans la collection Fil bleu que dirige Kangni Alem. On sent l’accompagnement de l’éditeur qui permet de faire entendre la voix de l’écrivaine Sybil Tchedre, de développer sa sensibilité offerte à la lectrice, au lecteur pour entendre cette déchirure qui neutralise son personnage. Par delà les apparences, la souffrance.

Un second récit, Au nom du mâle, met en scène Tantie Kaletta, une femme atteinte de folie ou qui en joue. Je n’ai pas compris en première lecture le dernier volet de ce deuxième texte avant de réaliser que lorsque Tantie Kaletta disparaît, c’est Akpéné qui réapparaît, le souvenir de son départ pour l’ailleurs avec un amour laissé derrière elle.

J’ai aimé ce texte, ces récits, la voix précise, posée de Sybil Tchédré même si certaines ruptures dans la narration ne sont pas assez amenées. Fuir l’origine à cause des nuances de couleurs, faire illusion ailleurs et revenir retrouver le premier amour d’un homme…

Gangoueus

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