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Murambi, le livre des ossements - Boubacar Boris Diop (Nouvelle édition 2021 / Flore Zoa)
Critique d'une oeuvre fondamentale sur le génocide des Tutsi au Rwanda (Prix Neuestadt 2021)
By Patrick Isamene Posted in Patrick Isamene, Roman, Rwanda, Sénégal on 10 novembre 2022 0 Comments
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Murambi, le livre des ossements, Boubacar Boris Diop
Editions Flore Zoa, 2021, Prix Neustadt 2021

 « Vous voulez que je pardonne, mais savez-vous que sur la colline de Nyanza, mes sept enfants ont été jetés vivants dans une fosse d’aisance ? » S’il ajoute : « Pensez aux quelques secondes où ces petits ont été étouffés par des masses d’excréments avant de mourir, pensez juste à ces quelques secondes et à rien d’autre », personne ne saura que lui répondre. Suffira-t-il alors, pour calmer cette souffrance, de rappeler le martyre de sœur Félicité Niyitegeka ou les risques acceptés par d’autres citoyens rwandais anonymes ? Cela, seul l’avenir le dira. »

L’histoire, ici, ne tient pas d’une simple fiction. C’est plus réel que la tragédie grecque ; le style, ici, ressemble, tantôt à une enquête, tantôt à un procès-verbal ; le bilan, ici, donne du froid au dos, plus de 800 000 de morts pour des médias internationaux, voire même 1 million deux cent mille disparus, pour certains observateurs ; le héros, ici, n’est pas au premier plan, il reste un mystère…Nous sommes en plein génocide Tutsi, dans le ventre de Murambi, le livre des ossements.

4 avril 1994, aux environs de 20 heures, le président rwandais, Juvénal Habyarimana tombe, à bord d’un Falcon 500 saboté lors de son atterrissage à l’aéroport de Kigali par celui qui demeure jusqu’à ce jour un mystère. Le lendemain, le Rwanda s’enfonce dans un trou noir, proche de l’enfer. Pour cette fois-là, les partisans du parti unique, les Interahamwe, insaisissables, trouvent un prétexte en or pour exterminer les Tutsi : la mort du président. Ils érigent des barrières sur toutes les artères dans la ville et se chargent d’exterminer les Tutsi, qu’ils qualifient entre autres d’ « Inyenzi », c’est-à-dire cancrelats. C’est là que tout commence. C’est que ma lecture commence avec une histoire qui  bascule dès les premières pages, laissant la suite du récit se construire avec un mélange maîtrisé d’humour, de questionnement et d’extrême violence. 

Témoignages

C’est avec une série de témoignages poignants, des récits fragmentés, que l’homme des lettres Sénégalais, Boubacar Boris Diop, construit son roman, de portée historique. Il met en scène, de bout en bout, des sujets tutsi qui, d’une manière ou d’une autre, se retrouvent dans des situations périlleuses. Certains tiennent leur salut, tantôt de leur témérité, tantôt par coup de chance. D’autres, par compte, sont morts sujets à l’héroïsme et au sacrifice le plus fou. Dans un style peu ordinaire, cabossé, et un choix lexical simple, ce roman peint l’avant, le pendant et l’après massacre dans un rythme où se côtoient rebondissements inattendus et  violences inhumaines.

De Michael Serumundo, au retour de Cornélius à Murambi deux ans après les tueries, passant par le martyre de sœur Félicité Niyitegata, tout élément a un sens. Cornélius ne serait-il pas l’image de ce monde venu constater le fait que bien après ? Ne serait-il pas l’incarnation de ce Rwanda unifié, ne serait-il pas le noyau de toute réconciliation et du pardon que prêche ce roman ? Je le crois bien. L’auteur consacre un récit singulier à ce fils retourné au bercail. En effet, ce jeune, longtemps immigré à Djibouti, se retrouve dans une situation d’accusé et de plaignant. C’est le seul hybride de l’histoire. Il découvre tout sur la mort de sa famille à l’école technique de Murambi et du grand rôle qu’a joué son père, le Dr Joseph Karekezi. Il retourne à Murambi pour concilier son passé avec son avenir. Et, logiquement, porte sur lui le joug du jugement social, et le poids de la mort. De la mort intérieure. Il a loupé le premier génocide, mais il n’a pas échappe au second, le plus affreux, que l’auteur qualifie ici de douleur dans ce passage.

«Nous ne pouvons certes pas les éliminer tous, mais faisons au moins en sorte que les rares survivants meurent de douleur, à petit feu, pendant le reste de leur vie.

N’ayant pas réussi à se débarrasser de tous les Tutsi, ils disent maintenant :chaque Hutu doit avoir tué au moins une fois. C’est un second génocide, par la destruction des âmes cette fois-ci.  »

L’auteur nous montre combien les souvenirs d’une guerre restent incurables. Et, dans tout le cas, constituent à eux seuls un second massacre. Cette pensée va de pair avec celle de Mbougar Sarr dans la lettre de Musimbwa

Le dessous de la carte

L’auteur cherche à éclaircir le jeu. Il greffe systématiquement, dans sa narration et ses discours, un ensemble de questionnement sur les diverses parts de responsabilité, tant morale que sociale, de tous les acteurs directs et indirects de ce grand massacre. « Qui a fait quoi ? » C’est à cette réflexion que l’auteur nous amène. Il en appelle à un jugement équitable, à la justice. Les interahamwe sont coupables par leur soif du sang. Le monde entier est coupable pour avoir été passif et gardé un silence meurtrier. La France est coupable pour son opération. L’opération Turquoise. 4 ans plus tard, l’auteur charge la France de sa faute. Il met à nu le grand rôle joué par Paris et toutes ses manigances occultes, commençant par son soutien au mouvement exterminateur juste qu’à ses efforts d’évacuer les commanditaires, à l’instar de Dr Joseph Karekezi évacué à Bukavu par le colonel français Étienne Perrin.

Pour finir, l’auteur décore un personnage hors du commun, qu’il nomme Siméon Habineza. Le frère du Dr Joseph Karekezi, et l’un de rares Hutus qui ont une conscience propre, mains innocentes et cœur plein d’humanité. Ce vieillard, plein de sagesse, montre à son neveu la voie, la voie du pardon, la voie de l’acceptation de l’histoire. Plus jamais l’histoire du Rwanda ne sera la même, après le génocide de Tutsi. Plus jamais votre appréhension de l’histoire du Rwanda ne sera la même après la lecture de ce livre.

Patrick Isamene


(1) Personnage écrivain dans La plus secrète mémoire des hommes. Dans sa lettre adressée à son ami Faye, il explique son choix de rester vivre en RDC, dans la maison où ses parents furent tués et dans son puits de refuge.

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