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Au bord du fleuve - Cheryl Itanda (2021)
Introduction à la poésie gabonaise
By Le Presque Grand Bounguili Posted in Gabon, LePresqueGrand Bounguili, Non classé, Poésie on 18 janvier 2022 0 Comments
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La rive comme lieu paradoxal dans Au bord du fleuve de Cheryl Itanda

Cheryl Itanda

Cheryl Itanda est l’auteur de quatre ouvrages individuels, dont un roman, un récit poétique et deux recueils de poésie. Avant Au bord du fleuve, il a écrit Îlots de tendresse recueil poétique érotique, œuvre pionnière dans un pays ou bien avant le covid-19, on revêtait déjà un masque, une cagoule ou encore des identités factices pour écrire une romance… Bien qu’il n’y ait de lien immédiat ou logique entre les deux œuvres, la toute dernière rentre tout de même en relation avec sa précédente. Réparti en trois grands mouvements – « Le Powête au bord du fleuve », « Explorateur de tendresse » et « Passion, Fureur et Révolte » – l’ouvrage porte sur la condition Nègre au XXIe siècle soumise aux avanies humaines et aux formes diverses de travestissements sociopolitiques en cours; et dont le pays de la nuit est l’avatar. Pays où prospèrent allègrement les génuflexions morales et surtout là où certains écrivains sont juchés sur des trônes de silence dans le confort de leurs pyramides d’indifférence. 

L’ouvrage porte dignement son nom tant il est traversé de textes qui épousent les différentes phases de l’onde : tantôt torrentielle, tantôt calme et parfois énigmatiquement brève, la poésie est faite de ressacs, de houle et de fulgurantes furies : harmonie imitative.

Avec cette énième œuvre poétique personnelle, Cheryl Itanda nous offre un justificatif à notre hypothèse de lecture de la poésie gabonaise actuelle : les voix en exil ont pour point commun le motif d’un monde lu à partir des décombres de la terre d’origine. Alors, semble-t-il interroger, quelle est la condition du poète dans un tel contexte? La poésie sert-elle à deviner à l’horizon le concentré d’incertitudes dans l’équilibre du Vivant et imaginer par la suite la brèche d’enchantement qui est aussi la possible voie de sortie ?

« On n’est pas responsable de son temps, mais on est fautif de ne pas s’en dissocier » disait Guy Hocquenghem. Et c’est en cela qu’il est intéressant dans cette œuvre de s’appesantir sur le motif de la rive. Le bord du fleuve pourrait être le lieu par excellence de la contemplation du Beau et de l’élévation poétique. Ce d’autant plus que l’auteur est un riverain né. Et parmi les siens, Eliwa est un mot polysémique et à forte connotation poétique pour désigner ce lieu. 

Cependant, pour le Powête, Eliwa, le rivage est un lieu paradoxal. Mieux, un haut lieu d’intranquillité. Sa condition s’y vit et s’y manifeste alors entre indignation et contemplation. Tout se passe comme si la rive du fleuve était le lieu de tous les bilans et de toutes les spéculations. Mais le motif du riverain est d’abord à inscrire dans la sociologie de l’auteur. Issu en effet d’un pays dont l’hydrographie est – avec la dense forêt tropicale – un signe distinctif, l’élément aquatique tient donc ici pour une valeur cardinale, sinon le lieu originel des émerveillements et des contemplations initiales. Il faut le rappeler, le Powête localise une partie de son dire à partir de ce lieu « Que même Hegel ne fut saisi aux entrailles/ Par l’extase de ta civilisation » (p. 30). En d’autres mots, il écrit à partir du continent dont la profondeur véritable a échappé aux esprits les plus vifs d’ailleurs. Et face aux lacérations et autres coups encore administrés au corps nègre, le cri du Powête réactive la mouvance gémellaire de la Négritude qui jadis ne trouva que parcimonieusement un terreau fertile dans le discours poétique gabonais. Aussi, est-il encore nécessaire – loin des proclamations abusives proclamant la mort de la Négritude – de pousser un néo-cri de ralliement à travers un Ubuntu poétique « Ubuntu tu criais! Ubuntu tu clamais! Ubuntu tu chantais! » (p. 33). En attendant l’avènement de cette « montée collective en humanité », le Powête devine des rives stellaires où il trouve refuge. Mais cet exil galactique n’étanche pas ses désirs d’humanité. À quoi bon fuir la terre quand les solutions s’y trouvent? Et c’est en cela qu’il est Powête dont il définit ainsi la posture : 

Et parfois il est
De miel et de soleil
Sur le corps fondant d’une femme
À chaque fois qu’à l’autre bout du monde
L’amour est un acte semé
Qui attend fleurir une vallée
Dans l’exode de ses pétales
Se laisser porter par le vent
Aux quatre coins du monde
(, p. 44)

Voguant donc aux encablures du monde, le Powête est un témoin-bavard des convulsions du monde, un lanceur d’alerte et un rapporteur pour les consciences disponibles : «  Du moins, il allie la condition du Gilet Jaune français qui par endroit épouse celle du retraité gabonais : revendications populaires, réponses totalitaires. 

Alors demain il laissera sa campagne
Son beau champ méprisé
Par le champ Élysée
Vêtu de son beau gilet saxifrage
Et dans sa retraite sans âge
Par un long cri parsemé
Il fleurira dans les fissures du pavé

 

Mais lui qui aura marché avec l’été
Trouvera sur son chemin de verre
Le flambeau qui avance avec l’hiver
Et le chêne qui chemine avec le laurier

Cette intranquillité du Powête induit à boire son « élixir » et la transe en cours doit déchaîner le « Cyclone des sept chemins ouvrant des sillons utopiques dans l’œil résigné » (« Furies d’encre », p. 66). Le bord du fleuve est donc une sorte de Larzac, un refuge de conscience où se fomente l’indocilité face à la domination.

La condition du poète dans un monde en combustion oblige aux tentatives « fuite » cependant, la fréquentation des « Rives stellaires » n’est qu’une quête palliative à durée déterminée : 

Et dans l’apocalypse des silences
Me voilà donc vieux poème déchu
De la musique du monde
Sentinelle déchiquetée et éparpillée
Claironnant l’ultime partition
Des poumons misérables du poète
Vieille parole au parchemin autodafé
Apostasie essoufflée du prophète
À l’agonie des halls des pas perdus
De notre humanité
(« Apocalypse des silences », p. 99)

Il faut obligatoirement redescendre sur terre, réenchanter le monde et fabriquer les conditions d’une nouvelle espérance. Ici, l’amer constat d’une modernité déclinante justifie le désir d’exil cosmique, mais ramène toutefois à la condition de Vivant : il faut la préserver. Intervient alors la résurgence d’un désir de l’Autre et le dialogue érotique avec les Muses ouvre alors le temps enchanté des amours. Après l’exploration d’un monde sans grandes promesses, inviter, célébrer, faire l’amour épouse donc, chez le Powête, la logique d’une invite à un rituel initiatique qui engendrerait une autre Humanité. Neuve. Apaisée. Réconciliée.

S’il est donc vrai
Que le cœur d’un poète bat
Et que marchant dans le monde
Les affres de l’humanité
N’ont cessé d’écorcher sa peau
Il existe quelque part
Un jardin
Secret
Où chaque matin
La tendresse d’une rosée jouvencelle
Panse ses plaies 
(« La grâce juvénile des jardins », p. 125)

Seulement, au centre de ce rituel rédempteur, il reste à clarifier le rôle de la figure féminine : les conditions sociales d’une nouvelle alliance. Mais dans cette alliance, la conscience des brûlures d’hier et du tumulte obscur du moment et surtout du néant de la terre natale, le Powête doit se hâter, écrire ce nouveau parchemin dans l’urgence comme la verge qui s’impatiente.

Femme
Avant que s’évade le rêve
Dans la nuit qui perdure
Laisse-moi me réjouir
Et dans ma passionnelle raison, jouir
Poser une flamme de vers sur le tendre bûcher de tes fesses
Et ma verge tumescente pompier-pyromane l’éteindre de son souffle lactescent

(« Je t’ai vue dans le Levant enrobé, p. 120 »)

Nous aurions pu offrir ici une réflexion sur la postface. Son titre apparaît comme la première esquisse d’un triptyque définitionnel de ce qu’est la Powêtude. Le prétexte d’une prochaine chronique est tout trouvé.

LPG Bounguili

Cheryl Itanda, Au bord du fleuve suivi de Explorateur de tendresse
Editions Dacres, 2021

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