En attendant les prochains romans de Chigozie Obioma…
Karen Ferreira-Meyers
Lorsque j’ai découvert les romans de Chigozie Obioma –The Fishermen, An Orchestra of Minorities et The Road to the Country, j’ai été profondément émue par la puissance de son écriture et sa capacité à explorer les destins familiaux dans le contexte nigérian contemporain.
The Fishermen est le premier roman de l’auteur nigérian Chigozie Obioma, publié en 2015. Le roman suit quatre frères dans un quartier tranquille d’une ville nigériane, qui reçoivent une prophétie violente ébranlant leur famille jusqu’au plus profond d’elle-même. Le récit se déroule dans les années 1990, sous le règne du président Sani Abacha. Ce roman sur les défis du Nigéria postcolonial a été sélectionné pour le Man Booker Prize 2015. Il a reçu un certain nombre de récompenses et il a été comparé aux romans de Chinua Achebe dans la critique des institutions coloniales. Le roman combine des éléments du réalisme bourgeois et magique pour dépeindre la désintégration d’une famille nigériane aisée.
Quatre frères, Ikenna, Boja, Obembe et Benjamin, commencent à pêcher dans la rivière Omi-Ala près de leur maison dans un quartier tranquille de la ville d’Akure au Nigeria, bien que leurs parents le leur interdisent en raison de la pollution de la rivière. Lors d’une de leurs parties de pêche, ils rencontrent Abulu, un fou local, qui prophétise la mort d’Ikenna aux mains d’un pêcheur. Cette prophétie divise peu à peu les frères et bouleverse les attentes familiales, laissant des blessures durables.
En 2019, Obioma publie An Orchestra of Minorities, un roman qui s’ouvre à Umuahia, au Nigeria. Chinonso, un jeune éleveur de volailles, sauve une femme, Ndali, tentant de se jeter dans le vide depuis un pont. Cet acte de bravoure devient le point de départ d’une histoire d’amour contrariée. Ndali, issue d’une famille riche, voit son union avec Chinonso compromise par des préjugés sociaux. Chinonso vend tout pour s’inscrire dans une université à Chypre, mais se heurte à des désillusions profondes. Ce roman, narré par une entité cosmique, explore les thèmes du destin, de la perte et de l’amour avec une portée épique, s’inspirant de l’Odyssée d’Homère et de la tradition littéraire et la cosmologie igbos tout en s’engageant dans la théologie chrétienne, examinant en particulier les complexités du pardon et les dilemmes moraux. Dans une interview, Obioma a exprimé son intérêt pour la métaphysique de l’être et de l’existence, reflétant son approche philosophique de la narration (Ajibade, 2019).
Enfin, The Road to the Country, publié en 2024, plonge le lecteur dans le Nigeria de la fin des années 1960. Ce roman épique raconte l’histoire de Kunle, un étudiant studieux hanté par une culpabilité ancienne, qui part en guerre pour se libérer. Alors que son jeune frère disparaît au cœur de la guerre civile, Kunle se lance dans une mission de sauvetage impossible. Ce voyage devient une quête d’expiation où il s’enrôle dans l’armée dissidente du Biafra et combat dans un conflit qu’il comprend à peine. Naviguant dans les prophéties d’un voyant local qui le qualifie d’abami eda (quelqu’un destiné à mourir et revenir à la vie), Kunle traverse un parcours de rédemption profondément humain et mythique. Ce roman entremêle mythe et réalisme pour dépeindre la fraternité, l’amour et un courage inimaginable dans un contexte historique dévastateur, confirmant Obioma comme une voix majeure de la littérature contemporaine.
À travers ces trois romans, j’ai ressenti une multitude d’émotions puissantes. Avec The Fishermen, la tragédie familiale teintée de superstition m’a laissé un sentiment d’inexorabilité, rappelant les tragédies antiques. Le traitement de la prophétie et de la fatalité m’a profondément marqué, m’emplissant d’une mélancolie durable. An Orchestra of Minorities a éveillé en moi une empathie intense pour Chinonso, dont les sacrifices et les désillusions face à un amour interdit résonnent profondément avec les luttes universelles pour l’acceptation et l’identité. Enfin, The Road to the Country m’a plongé dans une odyssée poignante, où les thèmes de la rédemption et de la fraternité dans un contexte de guerre m’ont touché au plus profond. Ce roman m’a laissé admiratif devant le courage et la résilience des personnages d’Obioma, tout en me rappelant les complexités humaines au cœur de l’histoire africaine.
Chigozie Obioma est né à Akure, au Nigeria. Ses deux premiers romans, The Fishermen (2015) et An Orchestra of Minorities (2019), ont été présélectionnés pour le Booker Prize, faisant de lui l’un des deux seuls romanciers à avoir été présélectionnés pour l’ensemble de leurs œuvres. Ces romans ont remporté une douzaine de prix, dont le FT/Oppenheimer Award for Fiction, un LA Times Book Prize, un Internationaler Literaturpris, un NAACP Image Award, et ont été nominés pour de nombreux autres. Ses romans ont été traduits dans plus de 30 langues. The Fishermen a même été adapté en une pièce de théâtre primée par Gbolahan Obisesan, jouée au Royaume-Uni et en Afrique du Sud entre 2018 et 2019. En 2015, Foreign Policy l’a nommé l’un des 100 principaux penseurs mondiaux.
Ses travaux de critique littéraire ont été publiés dans, entre autres, The Guardian, VQR, Paris Review et le New York Times. Il est actuellement James E. Ryan Associate Professor of Creative Writing à l’Université de Nebraska-Lincoln et partage son temps entre les États-Unis et le Nigéria. Avec un tel parcours et des œuvres aussi marquantes, les lecteurs comme moi, avides d’histoires vraies et vraisemblables, basées sur l’histoire récente des pays africains, s’attendent à beaucoup d’autres romans de cet auteur exceptionnel, qui continue d’émerveiller le monde littéraire.
Karen Ferreira-Meyers
Références :
- The road of the country (Hutchinson Heinemann, 384 pages, 2024)
- An orchestra of minorities (Little, Brown and Company, 464 pages, 2019)
- The fishermen (Little, Brown and Company, 304 pages, 2015)
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