Le silence et la douleur, de Michèle Rakotoson,
publié aux éditions Atelier des nomades
Me voici encore bien embêté de devoir dire ce que je pense de ce livre, ça raconte l’année 1895 à Madagascar, plus exactement la percée française par le nord et le début de la main mise française sur l’île.
L’histoire est intéressante, mal connue et remonte aux origines du problème, je serais tenté de dire que je ne connais rien de Madagascar, je n’y suis jamais allé.
1895 est la deuxième invasion française, la plus massive, à l’époque les rivalités dans la région opposaient anglais, français et allemands, un accord franco-anglais accorde Zanzibar aux anglais et Madagascar à la France, les allemands se contentant qu’on reconnaisse l’Afrique orientale allemande.
Le rôle de l’île de La Réunion est assez pousse-au-crime qui demande l’annexion pure et simple de Madagascar et finit par l’obtenir en 1896/1897.
Le livre raconte donc cette arrivée, et le système préexistant, avec reine, premier ministre, grandes familles esclavagistes, système par bien des égards finissant, affaibli, comme son premier ministre. Le livre nous met tour à tour dans la tête d’un officier français et d’un homme réduit en esclavage qui accompagne le fils médecin d’une famille fortunée.
L’ambiguïté des intentions du français sont bien décrites, quant au gars réduit en esclavage ses réflexions, pas moins ambiguës, sont elles-aussi instructives mais d’une certaine façon la pensée de l’officier français m’intéresse davantage, il y a d’un côté le blabla de Jules Ferry, sur porter la lumière aux peuples, exporter « nos » valeurs et « nos » avancées, blabla autant atrocement prétentieux que faux à la base, et de l’autre la domination, brutale, violente nous déclarant comme bienfaiteurs nous pouvons écraser l’autre, nous devons écraser l’autre, puisque nous lui sommes supérieur, ça serait pécher que de ne pas le faire, c’est ça qui m’intéresse le plus, cette justification de bons sentiments versus l’agressivité hargneuse de la bonne santé.
Bonne santé, il est vrai mise à rude épreuve, les maladies ont tué six mille soldats de l’armée française contre vingt-cinq morts au combat, sur un total d’une vingtaine de milliers d’hommes, comprenant algériens, sénégalais, etc.
Ce qui est intéressant c’est de voir quelle qualité, dans cette histoire ou dans l’histoire de la colonisation en général, est un défaut, cette bonne santé qui pousse à s’approprier les biens des plus faibles, ce n’est pas une qualité, ce n’est pas bien, et ça ne porte pas chance, ça ne paye pas sur le long terme, parce que c’est injuste, parce que c’est du vol et parce qu’il y a une ou des victimes, cet esprit conquérant, cet esprit entrepreneur, c’est un défaut, défaut en ce sens que ça bouffe à tous les râteliers, que la bonne santé y remplace la morale et que sur la durée ça ne marche pas, parce que c’est injuste, illégal, parce que ça joue avec la loi, ça singe la loi pour écraser, aucune nation ne se grandit en se mettant du côté du crime, les nations naissent sur des principes et meurent sur des crimes, sans compter que ce côté conquérant et entrepreneur c’est aussi le patriarcat, le virilisme, le virilisme c’est le chant des prostituées en campagne, tu as de beaux yeux mon chou, ce menton carré tu dois être un guerrier, mon lou, bref c’est ridicule, et ça finit mal, mon chou finit souvent aux oubliettes.
On suit donc pendant presque une année les forces françaises qui progressent vers la capitale et les forces malgaches qui tentent de les arrêter, je ne vais pas vous dire que je ne suis pas resté un peu sur ma faim, du fait des deux forces en présence sûrement, on pourrait presque comparer la désorganisation des deux, désordre indescriptible au débarquement des français, les fameuses voitures Lefebvre, particulièrement inadaptées à l’absence de route et lourdes, chacune de ces voitures à bras tractée par un animal pesait trois-cent-cinquante kilos, pas très pratique donc, du côté malgache un atermoiement sans fin, le côté malgache doute et a un mauvais pressentiment, il faut se battre mais elles et ils savent déjà la défaite au fond d’elles et eux
la domination de la France semblant fatale, avec vingt mille homme sur une surface de 587 mille km², la France y met le prix, avec les massacres et atrocités qui vont avec la propagation des idéaux philosophiques, avec la France qui a amené la lumière, recouvrant l’histoire malgache de sa page d’histoire lumineuse
Le problème c’est qu’aujourd’hui nous avons un certain recul sur cette luminosité historique, elle ressemble beaucoup à une boucherie la luminosité historique, et elle est somme toute très obscure, tant sur les intentions que les méthodes et donc, aller ainsi écraser un petit camarade, pour son bien, pour lui apporter les valeurs de la bonne santé conquérante, s’allonger sur lui en lui mettant la main sur la bouche, tout ça, c’est un défaut, ce n’est pas une attitude digne pour un jeune homme, toutes ces boucheries, c’est avec les corps de jeunes hommes, écrabouillés, pulvérisés, déchiquetés, explosés, au nom de la lumière de l’histoire, les femmes, les enfants, victimes des dernières innovations, un nouveau gaz, la mélinite, en 1895, il a l’air très bien, on allait rapidement trouver beaucoup mieux
Le livre de Michèle Rakotoson est très sérieux, documenté, instructif, mais bon, je trouve qu’il souffre un peu des atermoiements de son sujet, les malgaches attendent le pire, et le pire arrive dans les dix dernières pages du livre, mais cette espèce d’attente, d’indécision donne une structure au livre qui ouvre la porte à la domination française, un début désespérant et ça tergiverse un peu trop pour mon goût, ou montre les tergiversations de l’époque, raconter presqu’un an de tergiversations est un peu frustrant à lire, mais ça se lit, je ne me suis pas ennuyé, j’ai appris un peu sur cette période à Madagascar, je me coucherai un peu moins bête ce soir, histoire qui n’est pas totalement effacée malgré la France, et intéressant de reprendre le cours en 1895, comment les peuples auraient-ils pu, et dû, aller les uns vers les autres, ce qui n’est pas compris, c’est que quand le plus fort tue le plus faible tout le monde est perdant, il n’y a que des perdants dans la domination, aller vers les autres pays autrement aurait multiplié les bienfaits
C’est une histoire triste que cette histoire de Madagascar, vaincue avant d’être vaincue, et même de loin le présent malgache ne semble toujours pas très dégagé, encore aujourd’hui la pauvreté et la famine y font encore des ravages incompréhensibles en 2022, lisez ce Ambatomanga, Le silence et la douleur, de Michèle Rakotoson, publié aux éditions Atelier des nomades, j’attends de plonger dans d’autres titres de cette auteure.
Pangolin
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