Kintu, Jennifer Nansubuga Makumbi
Editions Métailié, 2018
Traduction de l’anglais par Céline Schwaller
Version originale parue en 2014
Jennifer Nansubuga Makumbi est née à Kampala, capitale ougandaise, où elle a étudié puis enseigné la littérature anglaise. Elle a également appris l’art de raconter des histoires, c’est elle qui le dit, auprès de son grand-père. Le roman Kintu est un immense conte populaire, mais pas que, tellement il est dense. Il s’agit plus ou moins d’une saga familiale qui s’étend de la seconde moitié du XIXè siècle au début du XXIè, en 2004.
Il y a au tout début Kintu Kidda, gouverneur d’une province du royaume du Buganda. Il tue accidentellement Kalema, son fils adoptif. Le père biologique de ce dernier, Ntwire, un immigré tutsi, lance alors une terrible malédiction sur Kintu et toute sa descendance « pour vous, pour votre foyer et pour ceux qui en naîtront, la vie sera une souffrance » p.81. Le roman nous fait de suivre quatre descendants de Kintu.
D’abord, il y a Suubi, hantée par une sœur jumelle, morte très jeune, dont elle ne conserve aucun souvenir. Son père, lui aussi descendant de Kintu, s’est suicidé après avoir tué son frère jumeau. Malgré une enfance difficile, Suubi semble bénéficier d’une puissante et mystérieuse protection.
Ensuite, il y a Kanani KIntu, et son épouse Faisi. Tous deux chrétiens très zélés, sont membres d’une vieille secte de l’église anglicane. Kanani est convaincu que sa foi mettra sa famille à l’abri de la malédiction qui pèse sur les descendants de Kintu. Cependant quelques signes inquiétants apparaissent. Son petit-fils, Paulo, décide d’adopter le patronyme Kaléma, l’aïeul par lequel l’imprécation a frappé le clan. Kanani a une cousine, Bweeza, aussi traditionaliste que lui est chrétien. Elle n’hésite pas, quand une occasion se présente, à rappeler leur héritage familial.
Puis Isaac Newton Kintu. A l’âge de six ans, il ne marchait ni ne parlait. Son père, un ancien professeur ayant abusé de sa mère, alors son élève, est frappé de folie. Isaac réussit, toutefois, à prendre sa revanche sur la vie. Bon vivant, il est tourmenté quelques années plus tard car convaincu d’avoir transmis le virus du sida à sa femme et son fils.
Enfin, il y a Miisi Kintu. Le patriarche intellectuel à qui la vie n’a pas fait que des cadeaux. Il a étudié en Russie puis en Grande Bretagne avant de regagner son pays l’Ouganda. Des rêves le ramenant à son enfance, des songes mystérieux le hantent. Rationaliste obstiné, il se débat avec ses doutes.
Le dernier chapitre de ce passionnant roman, en dépit de ses 467 pages, s’intitule « Le retour aux sources ». En 2004, l’espace d’un week-end, un week-end de Pâques, les descendants de Kintu Kidda à travers tout le pays se réunissent dans les collines, près de la frontière tanzanienne, pour une cérémonie dont le but est de défaire cette malédiction héréditaire.
Ce roman est ardemment captivant. Dès les premières pages, le lecteur est pris en otage par l’histoire de ce clan. Nansubuga Makumbi nous fait un petit rappel historique de son pays. Avant l’arrivée des colons britanniques, le Buganda était un immense royaume dont les frontières s’étendaient jusqu’à l’actuelle Tanzanie. L’entreprise coloniale bouleversa cette organisation. Les anglais redfinirent les frontières, créèrent l’Ouganda, « patchwork réunissant une cinquantaine de tribus », faisant d’eux des ougandais, écrasant leur histoire, leur identité, leur culture, leur spiritualité. La spiritualité du peuple ganda en particulier et de l’Afrique Noire en général est au cœur de ce roman. « Ces chrétiens ont semé le doute à propos de notre spiritualité » p.442.
Au-delà de la magnifique plume de l’auteure, de son talent indéniable de conteuse, l’intérêt de ce roman est l’invitation faite aux africains du sud du Sahara à reconsidérer leur croyance, leur spiritualité. Longtemps diabolisées, par le christianisme notamment. Le culte des ancêtres est mis en lumière dans le dernier chapitre. Cependant l’auteure est lucide, le texte ne prétend nullement que ces traditions africaines doivent demeurer immuables. Comme toute entreprise, organisation, elles sont amenées à s’interroger, à se réformer. Sur cette question, la voix de Bweeza est très intéressante. Très traditionaliste, elle reconnait cependant que la place de la femme doit évoluer.
A l’instar de La vertical du cri, de Gaston Paul Effa, Kintu a une dimension spirituelle que l’on ne peut occulter. C’est un roman que je recommande vivement. Traduit en français, il est publié aux éditions Métailié.
Un article de Cédric Moussavou
Extrait du roman Kintu lu par Jean Paul Tooh-Tooh
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