Note de Chroniques littéraires africaines : L’écrivain camerounais Marc Alexandre Oho Bambé a partagé sa lecture du roman La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr (éd. Philippe Rey / Jimsaan). Il nous autorise à publier cette note fine sur un roman complexe, puissant et difficile à analyser. Quoi de mieux que la parole d’un écrivain pour dire ce roman ? Bonne lecture.
De quoi parle La plus secrète mémoire des hommes ?
De rien. Est-on tenté de répondre, comme le ferait sûrement le traducteur, un des personnages du roman éblouissant de Mohamed Mbougar Sarr.
Et on aurait raison de répondre ainsi, « de rien. »
Un rien, grand comme le tout.
Monde.
Mohamed Mbougar Sarr signe là un livre-monde, traversant les continents, les époques et les genres, un livre-monde à la fois essai, polar, roman d’initiation, journal intime, correspondance, carnet de vertiges. On est happé dès les premières pages, par le rythme du texte et le sens de l’histoire qui jamais ne se perdent au fil des 458 pages de ce fabuleux voyage en prose dans l’espace et le temps, et surtout au cœur de l’insaisissable, l’opaque condition humaine. L’enquête et la quête de Diégane nous entraînent sur les pas d’Elimane et sur ceux du narrateur lui-même, en pays Sérère, Sine Saloum, terre-mère du jeune enquêteur, et de son illustre prédécesseur et fantôme poursuivi en Argentine, en France, aux Pays-Bas, au Sénégal …
On marche au milieu de la seconde guerre mondiale en Europe et des mouvements citoyens en Afrique, on lit le wolof, on rit au trait d’esprit juif, avant de frôler l’horreur nazie et d’observer plus loin la révolte de jeunes militants de la Teranga d’aujourd’hui contre le pouvoir en place, on vibre avec Latyr Faye et Madag, le couple Ellenstein, Mossane et les jumeaux Koumakh, Musimbwa et Béatrice Nanga, Aida et Siga, on fait l’amour, l’humour et l’amitié, on réfléchit à l’engagement et à l’exil, on avance dans l’histoire à moins que ce ne soit celle-ci qui avance en nous, sans jamais nous égarer ni nous éloigner de la littérature, oui la littérature elle-même, la littérature, dont Sarr est un merveilleux passeur vous donnant envie de lire ou relire Yambo Ouologuem, Roberto Bolaño, Ken Bugul, et d’autres, à la lumière de son livre qui chante la littérature, la littérature, sans frontières, la littérature, monde à part, entière, la littérature, en question sans réponse, en réponse sans question.
La littérature, ou la vie.
Mbougar écrit comme il respire, d’ailleurs peut-être écrit-il aussi pour respirer, très sérieusement je me le suis demandé, pendant ma lecture de l’ouvrage. Je me le demande encore.
Le Labyrinthe est entré en moi.
La dernière phrase du roman, me transperce le cœur. Je souris toujours, et remercie son auteur, dieuredieuf, na som jita, pour la ligne de crête arpentée, le temps suspendu.
Et l’horizon, que seules ouvrent en vous les grandes œuvres, celles qui resteront.
Avis poétiquement exprimé 🤩🤩. C’est beau.
C’est une analyse fine et pertinente.
Je vous remercie de l’avoir partagée.