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La vie sur un fil - Abdoul Kane
Nouvelles de mon hôpital
By Gangoueus Posted in Gangoueus, Nouvelles, Sénégal on 21 décembre 2019 0 Comments
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Abdoul Kane
La vie sur un fil
Edition L’Harmattan Sénégal
2013
J’ai ramené plusieurs livres de la Foire Internationale du Livre de Dakar. Après avoir évoqué sur Mon Paris FM d’un ouvrage de Mamadou Sy Tounkara, j’aimerais parler cette semaine d’un autre recueil de nouvelles du Pr Abdoulaye Kane que j’ai trouvé excellent. La vie sur un fil. Tant sur le fond  que sur la forme.

Petite présentation

Je suis souvent les recommandations d’Abdoulaye Diallo, directeur des éditions L’Harmattan Sénégal que j’ai rencontré pour la première au salon du livre d’Alger, il y a deux ans. Depuis que j’ai fait ce pas, j’ai pu déconstruire l’idée que toutes les fictions produites – j’insiste sur fictions – par L’Harmattan seraient des daubes, non relues, encore moins corrigées, souvent publiées à compte d’auteur. La filiale sénégalaise m’a permis de revoir la donne avec des auteurs comme Ameth Guissé, Andrée-Marie Diagne Bonané, Khalil Diallo, Abdoul Kane… De très bons livres, bien édités.  Quand il m’a parlé de ce livre, je l’ai mis sur le haut de ma pile de livres à lire. Je pensais naturellement que ce recueil de nouvelles était une parution 2019. En discutant avec des amies sur le mur que Zuckerberg m’octroie, j’ai réalisé que ce livre avait six ans déjà. A propos de l’auteur, Abdoul Kane est un spécialiste des maladies du cœur et des vaisseaux. Il dirige (ou a dirigé) le service de cardiologie de l’hôpital de Grand Yoff. Enseignant-chercheur, il est professeur titulaire de cardiologie à l’université Cheikh Anta Diop. Bref,  l’homme connaît l’hôpital. Il va nous en parler avec la distance qu’offre une fiction.
Ces dernières en milieu hospitalier fonctionnent très bien. Nafissatou Dia Diouf, La maison des épices. Landry Sossoumihem, Racines d’amertume. Véronique Tadjo, En compagnie des hommes. Chaque fois, ces oeuvres inscrites dans un contexte singulier, nous renvoient à l’univers de  l’hôpital. Les personnages principaux sont soit des médecins, du personnel traitant, des malades, des autorités, de la famille de patients… Elles en disent long sur nos modèles de société, les faillites comme les réussites.

15 nouvelles donc

Comme je le disais, Abdoul Kane n’épargne personne dans ce recueil. Les médecins, le personnel médical. Prenons la nouvelle Sainte mère, par exemple. L’auteur décrit avec moult détails la tentative de réanimation d’un jeune homme devant sa mère dévote. Il manque du matériel. Il nous restitue toute la tension de l’attente, de l’espérance d’une mère ainsi que toute la fougue du médecin pour sauver une vie.  Puis, vînt le moment fatidique. Les prières n’ont pas porté leur fruit. Le fils est mort. Il y a eu une erreur médicale. Mais dans cette nouvelle, dont la chute est remarquable tout est dans ce qui n’est pas dit. La chute est tellement remarquable, qu’elle nous impose une réflexion. Doit-on condamner la fourberie du traitant ou la naïveté et le peu d’exigence de la dévote ? Si outre-Atlantique ou plus proche, en France, on peut dénoncer les excès de la judiciarisation des rapports en patients et le personnel traitant, le fatalisme qu’on retrouve dans cette nouvelle d’Abdoul Kane constitue une autre extrémité.
Prenons la précarité. C’est un élément récurrent et peut être même attendu par le lecteur. Elle frappe tant le patient que les médecins. Comme ce père enseignant de formation, le plus beau métier du monde pour l’idéaliste qu’il a toujours été. Lui qui était un crack et qui aurait pu s’engager vers un secteur d’activités plus lucratif. L’hôpital d’Abdoul Kane, rappelle la vanité de ce choix lorsqu’une facture de 3 millions de francs CFA lui est tendue pour sauver le coeur de son enfant. Impuissance. Injustice. Colère. Seuls les puissants sont bien traités. A cœur fendre.  On se demande lequel est le plus fendu. Celui du père ou de l’enfant ? La précarité, c’est aussi l’embastillement des patients guéris qui ne peuvent pas payer l’ardoise. Ou encore le désarroi d’un chirurgien qui maîtrise une intervention très technique mais dont le savoir est annihilé par les conditions de travail. A peur et à sang. On n’est pas aux Urgences de Michael Crichton. Dans cette nouvelle, on approche plus d’un scénario de Stephen King. Sauf qu’Abdoul Kane n’invente pas des scènes catastrophiques, on devine qu’il les vit tous les jours. Accrochez-vous quand vous lirez cette nouvelle.
Plus loin, c’est le modèle de société de son pays qu’il interpelle. La cruelle nouvelle très justement intitulée Solidarité éprouvée. Un patriarche aimé de tous, qui a porté son clan devient du jour au lendemain un boulet pour sa famille et ses amis qui n’arrivent pas sur la durée à absorber les factures que renvoie l’administration. Sa mort devient une délivrance après la longue description de son agonie dans un hôpital abandonné de tous. Une délivrance pour lui. Une délivrance pour ses proches. Alors faire bombance à l’occasion de ses funérailles, est-ce si hypocrite que cela ? N’est-ce pas un aveu d’impuissance et une volonté de vivre malgré tout ?
En faisant une analyse de son hôpital, Abdoul Kane porte un regard franc, objectif sur une société sénégalaise inégalitaire, à la fois conservatrice et qui doit en même temps repenser ses solidarités dans les grandes villes.

L’art : la manière de raconter

En littérature, quelque soit le sujet traité, ce qui importe c’est l’écriture et l’énergie qu’un auteur va mettre pour construire son discours pour qu’il puisse avoir un impact maximal à la lecture. On sent par son écriture qu’Abdoul Kane est un grand lecteur. Si son style est très classique, s’inscrivant dans une certaine tradition littéraire sénégalaise, il montre sa maîtrise du genre qu’est la nouvelle. Une lecture oppressante mais utile avec un refus de l’auteur de prendre des raccourcis et de faire dans un manichéisme simpliste.
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