J’ai pris un peu mon temps avant d’écrire cette chronique, le temps que le texte infuse en moi… Un des plus beaux textes que j’ai savouré ces derniers mois. Un roman sur une quête de soi, sur une absence et sur une nécessaire reconstruction. Un oeuvre magnifique et je vais essayer de vous dire pourquoi.
Estelle est quelqu’un
De juin à septembre 2013 : Estelle
La première partie de ce roman commence par une succession de mantra. J’exagère à peine. Estelle se définit. Par des actions. Par son rapport à d’autres. Par ce qu’elle ne fait pas. Elle parle, elle le dit. Estelle est la quatrième fille d’une fratrie. Une jeune femme qui se cherche. Elle squatte. Elle revient chez sa mère. Penda. Elles ont une relation explosive. Et pour cause :
« Je suis quelqu’un dont la mère a beaucoup d’attentes. Elle imagine qu’un jour j’aurai un appartement très coloré » […] « Je suis quelqu’un qui en vérité fera échouer tous les rêves de sa mère. Le futur appartement décoré de batiks. La baignoire encerclée de plantes et de bougies dans laquelle plonger le soir » (p.62 Gallimard, Continents noirs).
Ce n’est qu’une petite illustration… Estelle est en rupture avec son entourage. Elle prend néanmoins d’un petit « cousin » Mansour, Elle reçoit des appels et des messages vocaux, des sms, des e-mails. Elle ne répond pas mais Aïdara nous donne droit à ses réactions aux questions soulevées. On avance par association d’idées. En se définissant, en se positionnant sur les sujets… Cette phase est particulièrement originale. Aminata Aïdara fait répéter son personnage. Dans les méandres de ses cheminements, elle s’affirme parfois maladroitement, mais peu importe…
Penda ou la poursuite d’un amour improbable
Le portrait que brosse Estelle de sa famille, nous permet percevoir son père Victor, ses soeurs en France, Vi Vee, Sonia ainsi que Florette restée au pays, le Sénégal apparaitra plus tard.
« Je suis quelqu’un qui n’est pas intéressé par la beauté. Je la regarde, chez moi, chez les autres, avec tendresse et pitié comme toutes les illusions » (p.123 Gallimard, Continents noirs).
De septembre à Octobre 2013 : le journal de Penda
Si Estelle ne se définit pas par rapport à sa mère, ses soeurs, ses parents. Penda a une démarche très différente. Et c’est par le biais d’un échange épistolaire et les notes de son cahier de journal, que le lecteur peut saisir par bribes l’état d’esprit de cette femme qui a quitté le Sénégal avec trois de ses filles. Pourquoi ? Il est question d’Eric. Ce français d’origine algérienne est un petit-fils d’harkis. Alors que Penda a fait l’objet d’un mariage arrangé, qu’elle est mère de quatre enfants, bénéficiant du confort matériel qui la maintient dans le cadre dans lequel elle a grandi, elle est profondément seule. La rencontre avec Eric va tout changer. Dans des proportions que le lecteur découvrira dans les notes de Penda. Entre le quotidien de cette mère célibataire, technicienne de surface dans un collège en France et le souvenir certain de sa posture sociale au Sénégal, il y a un gouffre. Les raisons des mouvements des gens ne sont pas simples à analyser et c’est cette complexité que veut nous faire explorer Aminata Aïdara. Comment une mère observe ses filles. Comment une tente au travers d’un collégien turbulent de se souvenir d’un fils perdu, Jamal, qui aurait le même que le trublion. Comment l’amante court après le bien-aimé qui l’a pourtant abandonné. Comment une femme se ment à elle-même.
Être
Jamais un roman ne m’a autant remis en relation avec d’autres textes. Que ce soit Blues pour Elise, de Léonora Miano. Que ce soit La femme du Blanc de Muriel Diallo. En écrivant ce paragraphe, je pense à Des fourmis dans la bouche de Khadi Hane. Même Marie Ndiaye et Trois femmes puissantes. Ici, cependant, les femmes d’Aminata Aïdara ne sont pas puissantes ou fragiles. Elles sont en chemin. C’est le roman de plusieurs quêtes. C’est un texte sur l’introspection. Certes, Penda, se définit longtemps par rapport à cet homme qui lui a fait cinq promesses. Cet homme à qui elle pardonne l’impardonnable. Cet homme pour lequel elle s’oublie. Mais le bébé perdu est une rupture bien trop grande créée une perte de stabilité. Comme la femme médecine de Muriel Diallo, Penda porte ou croit être le dépositaire d’un héritage de sa grand mère, voyante, animiste. Comme Elise, elle quitte le Sénégal suite à une fracture qui ne se résorbe pas. Là où Aminata Aïdara apporte beaucoup de puissance à son texte, c’est dans la forme de sa narration particulièrement douce, maîtrisée, sans grandiloquence. Juste, précise, émouvante. On n’est pas dans le texte militant, prétentieux, moraliste. On est dans quelque chose de doux et douloureux, agréable et aigre. Le métissage transpire dans ce texte sans nous assommer dans une volonté de démarcation et d’affirmation de soi. Être, ici, c’est trouver son chemin. Qu’on arrive tôt ou tard n’importe peu, c’est la grande leçon de ce roman.
L’écriture d’Aminata Aïdara
Dans une chronique radiophonique, j’ai résumé ce roman à sa douceur. Cette enveloppe qui amortit la violence, l’impasse de certaines situations. A cette violence, on peut réagir par la rage ou par une forme de paix intérieure que peut apporter le recul de l’écriture. Dans ce roman, les personnages écrivent beaucoup. Ils communiquent par des supports intermédiaires comme un ordinateur, un écran de smartphone, une boîte vocale, une lettre écrite ou un journal intime. Cette distance de dire et de ne pas être forcément dans le dialogue comme Estelle par exemple permet à l’auteure de proposer une écriture simple, aérée et dans le fond reposante. Le mantra d’Estelle restera un point fort de ce texte parmi plusieurs. Je suis quelqu’un.
Copyright Photo – Hélène Rozenberg
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