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Bruce Mateso - Nimi A Lukeni, Le roi forgeron de Kôngo (2022)

Rebâtir l'histoire précoloniale par la fiction. Le cas du royaume Kôngo

Rebâtir l'histoire précoloniale par la fiction. Le cas du royaume Kôngo

Nimi A Lukeni, Le roi forgeron de Kongo (éd. Le Paari, 2022)

Il est très difficile de construire un roman historique surtout quand ce dernier porte sur la période précoloniale africaine. La collecte des données devant servir à l’élaboration du discours est souvent complexe. On se souvient de l’épopée mandingue de Soundjata Keïta recomposée par l’excellent écrivain et historien guinéen Djibril Tamsir Niane. Le défi était donc énorme pour Bruce Mateso en proposant le portrait de Nimi A Lukeni, fondateur du royaume Kongo au XIVè siècle, sous la forme d’une fiction.

Contexte historique et défi d’écriture :

Tout élève assidu ayant fait son collège en République du Congo a eu droit au cours d’histoire évoquant les grands royaumes africains. De tête comme cela, le Ghana, l’empire du Mali, l’empire Songhaï, le royaume Kongo, le Monomotapa, le royaume d’Anziko de l’Onkoo selon Bruce Mateso… Le souvenir que j’en ai, pour le Royaume Kongo, c’est Nimi Lukeni, le fondateur, Alfonso 1er, le premier souverain kongo à se convertir au christianisme au 16è siècle, Kimpa Vita et les sept provinces de ce royaume structuré qui paiera un lourd tribut dans le commerce des esclaves avec les Portugais. La culture Kongo a su s’entretenir malgré un contact rapide avec les explorateurs et missionnaires portugais. Etat côtier, le Kongo a donné son nom à deux états modernes, ainsi qu’au deuxième plus puissant fleuve du monde. Les populations de culture Kongo se retrouvent sur quatre pays (Gabon, Angola, RDCongo, République du Congo) et cette culture a survécu en Amérique latine dans des communautés vivantes comme en Colombie, au Pérou, en Haïti avec des éléments identifiables. Il a aussi laissé des traces pour des communautés afro-descendantes disparues aujourd’hui comme en Argentine où le Tango, la fameuse danse sensuelle, est une survivance des danses Kongo ayant traversé la Grande Eau. 

Écrire sur la naissance d’un tel royaume est donc une entreprise complexe. Bruce Mateso est doctorant en histoire à l’université Panthéon-Sorbonne de Paris où il travaille sur le sujet de l’historicité des pratiques religieuses et guerrières des mouvements armés dans le Bassin du Congo (XIXè-XXè siècle). On peut imaginer que sa formation a pu structurer la collecte des données à la fois empruntées à la tradition orale mais aussi à l’interaction avec les nations occidentales qui souvent laissent des traces écrites de leurs rencontres avec les peuples qu’elles découvrent. Le roman permet à l’écrivain d’adapter et de donner une forme permettant d’incarner la figure historique de Nimi A Lukeni au travers de valeurs fortes de bravoure, d’héroïsme, mais aussi par la vision de l’homme d’état et la capacité à structurer une mosaïque de peuples.

Nimi A Lukeni, le roi forgeron de Kongo

Ya Bruce comme il s’auto-désigne sur Instagram (« Ya » désignant le grand, l’aîné qui part extrapolation congolaise est le détenteur du savoir) revient sur la forge d’un royaume d’exception en Afrique : le Kongo. Nous sommes au quinzième siècle de notre ère quand Nimi A Lukeni, jeune prince, chasseur intrépide, s’extrait du giron de son père à Vungu pour fonder les bases de ce qui va devenir le Kongo Dia Ntotila. Bruce Mateso décrit l’élaboration de l’État Kongo sous l’impulsion de ce monarque absolu ayant une conscience de l’exercice du pouvoir pour accroître sa domination mais aussi pour établir la paix et la prospérité des personnes sous sa responsabilité. Pour cela, il y a des éléments qui constituent les êtres d’exception : la précocité, l’appel ou la vocation, le courage ou la témérité, le charisme, un sens inné de la politique.

La structure de son parcours me rappelle celle de Soundjata Keïta et dans une moindre mesure celle de Chaka. Et tout de suite, naturellement se posent les questions : Qu’est-ce qui relève de l’histoire ? Qu’est-ce qui relève de la fiction ?

Ce que j’aime dans ce parcours de Nimi A Lukeni, c’est l’audace de certaines décisions, l’autorité de celui qui se sent investi d’une mission et qui construit et étend son territoire avec l’aide de grands soldats fidèles. C’est aussi la spiritualité qui sous-tend toutes ces initiatives, qu’elles fussent militaires ou politiques. La mise en scène de l’interaction du visible et de l’invisible est particulièrement réussi et elle fait partie des éléments où la langue kongo s’exprime… C’est aussi un discours sur un monarque à al fois absolu et éclairé qui va bâtir un état, sécuriser son territoire, rendre sûr les espaces de rencontre que sont les marchés, créer une monnaie qui participe à l’unité du Kongo dia Ntotila.

Eléments historiques et fictions

L’exercice complexe d’un ouvrage de fiction sur un sujet historique est la vraisemblance. Tout doit sonner juste. Je ne connais pas suffisamment le kikongo. Mais, dans la formulation de certaines sentences, dans les dialogues où cette dernière s’exprime dans le roman de Bruce Mateso, j’ai eu l’impression d’entendre des formules très contemporaines, des expressions déjà entendues à Brazzaville. Le kikongo d’aujourd’hui, ses déclinaisons brazzavilloises ne sauraient être celui du XVè siècle. Vous me direz, tu chipotes Gangoueus. Mais, le roman historique a ses codes, comme le polar a les siens. Et tout de suite, le lecteur se met en alerte. Je compte bien soumettre quelques extraits à des locuteurs kongo pour me faire une idée.

Il y a dans ce texte quelques facilités qui provoqueront le sourcillement du lecteur attentif. Toutefois, Bruce Mateso me fait dépasser ma lecture collégienne de histoire du Mani Kongo Lukeni pour me plonger dans une époque si complexe à imaginer que je ne peux que saluer le travail brillant de reconstruction de l’histoire d’une partie de l’Afrique centrale, du point de vue Kongo. L’exercice n’est pas facile.

Gangoueus

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