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Nombril équatorial - Bénicien Bouschedy (2022)
LE PROCÈS DE MALINGA AURA LIEU : POÉSIE DU REDRESSEMENT CHEZ BENICIEN BOUSCHEDY
By Le Presque Grand Bounguili Posted in Gabon, LePresqueGrand Bounguili, Poésie on 24 juin 2022 0 Comments
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Nombril équatorial, Bénicien Bouschedy
Les Editions Sydney Laurent, 2022

Benicien Bouschedy est né à Malinga, un endroit à peine situable, un des plus reclus du Gabon. De là-bas, de ce lieu physique et onirique il a écrit son dernier ouvrage Nombril équatorial (Sydney Laurent, 2022). Plus qu’une bourgade, Malinga est pour l’imaginaire du poète le lieu de cette conscience qui interroge, dérange, accuse et disqualifie les saisons d’enténèbrement et leurs suppôts. 

Comme il en a maintenant l’habitude, le poète malinois nous convie de nouveau à une prose poétique un tant soit peu délaissée dans Cendres de maux (2018). La préface de Patrice Nganang situe cette poésie en phase avec le climat tropical du pays de l’auteur dont l’instabilité désordonnée et l’imprévisibilité apocalyptique sont le principe directeur. Ce qui explique une forme d’indocilité bouillonnante nourrie du tumulte verbal chez l’auteur. Quoique fort pertinente, cette allusion ne doit pas laisser de côté l’origine gueuse, urbaine et populeuse de cette écriture. En effet, Benicien Bouschedy inscrit sa poésie comme une adresse au peuple dans une perspective fanonienne: ne plus rester terrifié mais devenir terrible à l’égard de l’ordre établi. Et pour que cette terreur change de camp, il n’y a pas mieux pour le peuple que de se constituer procureur de l’action politique en particulier mais humaine en général, car nous dit la voix poétique, « Là où l’amour est menacé, la règle n’a pas de sens. La dénonciation est un impératif. Le silence ne suffit plus ». Dans ce réquisitoire poétique, le politique apparaît d’abord sous les traits d’une figure fallacieuse : mensonge, fausseté, usage de faux, sont les signes extérieurs de sa douteuse légitimité et de son inconsistance notoire : « Semeur de troubles des identités, Président esseulé dans l’éclat de la magouille et le paradoxe des décisions (…) homme de hasard et de papiers (…) Un homme faux dont l’infinité du mensonge épouse sa chair plus que pourrie ». Ce politique est aussi figuré sous les traits de ces caricatures nationales dont on célèbre la mémoire sur fond de malentendu et de grossier mensonge historique : « Coiffeur colonial (…) Aujourd’hui célébré en père de la nation, le buste triomphant d’une incompétence alphabétique, ridé et craché en son nom simple. Un nom qui rappelle le rabais et la concession du pays aux autres ». Autant dire qu’au prétoire de Malinga le redressement des consciences commence par l’insertion de la Vérité dans le corps politique, corps vicié par la spéculation.

Outre les « litiges démocratiques » et historiques, nombreux sont les actes d’accusations qui s’abattent sévèrement sur une classe politique disqualifiée à souhait. Imitant une tradition intellectuelle aisément identifiable, la voix poétique transforme la classique accusation zolienne en réfutation bouschédienne qui n’est qu’une inscription en marge d’un ordre politique incompétent et dont l’imaginaire est d’une impotence avérée : « Je refuse l’attente/ Je refuse d’aimer le silence des morts/ Je hais la promesse/Je refuse que l’avenir soit scellé par les bégaiements/ Je refuse que l’âme soit déflorée/ Je refuse l’ivresse des rires belliqueux de ceux qui rient de tout ». Cette réfutation en bloc est énoncée de manière à dénier les manœuvres et idéologies politiques qui remettent tout au dilettantisme. De quoi inviter les consciences populaires au dégagisme. Celui-ci trouve sa justification dans les griefs adressés au politique : ses crimes de populicide, la déculturation de masse, la dépossession des âmes, la manducation cannibale, l’abêtissement qui plonge les citoyens dans la torpeur cadavérique et ce avec le blanc-seing, l’approbation des groupes et obédiences religieux. Dans ces conditions vient au monde le règne, le diktat des nyctalopes. 

« Nul ne peut être fier du pays dont la couleur est la nuit. »

A l’instar de Sos motem de Cheryl Itanda (Dacres, 2016), Nombril équatorial s’énonce sous le signe de la Nuit : longue, épaisse, viciée, « vénérienne », la nuit est le motif de ces pays qui à l’instar du Gabon ont renoncé aux lumières de l’imaginaire collectif en lieu et place d’une narcose collective savamment entretenue au profit de la minorité privilégiée. Ressasseur d’évidentes vérités voilées, le poète soumet à un interrogatoire rigoureux et sévère la condition populaire et ce qu’il lui reste de conscience face aux prétentions impériales des tenants de la Nuit : « C’est étourdissant, un peuple qui ne sait pas s’énerver ». En le mettant ainsi au défi, le Powête tente en même temps d’exorciser le peuple de cette aboulie citoyenne. Aussi, en ces pays où le fatalisme se vit comme une devise, le poète rappelle que « La liberté croise les bras quand le courage et l’opinion s’endorment » et que l’« On ne trouve pas son chemin étant assis ». C’est sur cette réfutation sans concession de l’immobilisme spectaculaire, cette « attitude stérile du spectateur » (Césaire) que la voix poétique va produire une série d’images de la verticalité. 

La Fonction de Powête

Pour le poète, le corps social est invité à se constituer en entité uniforme afin de se dresser contre l’ordre des nyctalopes inaptes afin de « sortir de la grande nuit » (Mbembe) autrement dit, faire advenir au monde « L’homme qui laisse passer le vent, mais qui se lève pour l’opprimé et réclame la justice. Un homme disponible ». Aussi faut-il à ce peuple d’imiter le poète s’extirpant de la logique nocturne, « J’arrache mon nom de cette obscurité décoiffée de sens » pour ensuite assumer sa responsabilité citoyenne face à l’histoire autrement dit être « la fanfare qui geint les douleurs » mais surtout « la poutre têtue en érection ». Entité debout, le poète-citoyen fait exemple en assumant le fardeau social dont l’effroyable paradoxe chanté par Movaizhaleine est ici réactualisé « terre pleine, ventres vides ». 

Il ne faut surtout pas croire que l’ordre de la Nuit est l’apanage des pays africains. Bien au contraire, ces derniers ne sont que le prolongement d’une vaste entreprise à déciviliser : le capital. Car « Le véritable homme est mort derrière la course industrielle » et que dans l’ensemble, « Les palais politiques sont en déconfiture d’humanisme ». Aussi l’époque requiert-elle son lot d’hommes disponibles dont la générosité, la densité intellectuelle et la droiture seront les principales caractéristiques. Il faudra des hommes debout pour assumer le fardeau social. Il faudra des hommes érigés. Il faudra des hommes qui s’irruent pour chaque initiative d’émancipation collective. Au sortir de ce procès de Malinga, doit advenir l’ère des Powêtes car « Aucun Powête ne craint la nuit ». Car il ne faut plus craindre la Nuit. Comme tel, il en faudra autant d’hommes qui ne redoutent pas la Nuit, des hommes qui doivent proclamer leur inscription hors de la Nuit. Sortir de cette nuit, être debout, être Powête, c’est se constituer « serrure des espérances ». Se redresser, se dresser, rester debout et ensemble, telles sont les modalités d’une autre citoyenneté. Ainsi, de Poète on devient Powête. Telle peut s’entendre la fonction de Powête chez Benicien Bouschedy.

Le Presque Grand Bounguili

Mots-clés : Gabon, littérature, poésie, Powêtude, Bouschedy, Malinga

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