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Un lotus aux yeux de mer suivi de Les rides de mon cœur - Gniré Dafia
By Date Atavito Barnabe Akayi Posted in Bénin, Daté Atavito Barnabe-Akayi, Poésie on 13 juin 2021 One Comment
Habitant de nulle part  Originaire de partout - Souleymane Diamanka (2021) Previous Next

Gniré Dafia, Un lotus aux yeux de mer suivi de Les rides de mon cœur,
Cotonou, Les Editions des Diasporas, 2020, 56p.

 

Macadamisée de fange, la poésie béninoise incante une saison fleurie qui divise la visite des esthètes en deux rues sécantes. L’esthétique du dehors et du dedans qu’exaltent les textes rituéliques affiche une affection particulière à l’ascension des vertus si bien que le monde littéraire béninois enfourche moins des cadavres de poussière que des poussières de lotus.

Autour de la cavité incubatrice de cette poésie sacrée s’enroule l’Amour. Mais avec un peu de frayeur. Gniré Tatiana Dafia[1], attendue depuis vingt ans, plante, ici, un décor foudroyant où le système d’énonciation n’est clairement défini aphorisant ni textualisant. Le jeu pronominal, en inversant les normes classiques des accords génériques, s’enfle d’une interprétation multiple et enrichit la polysémie de la dualité et de la complétude. L’incipit ruisselle une sacralité muette dont le saisissement peint, à l’infini, les principes alchimiques de l’androgynat, connotation du masculin et du féminin, symbole de l’actif et du passif, sémiotique du positif et du négatif. D’ailleurs ce livre Un lotus aux yeux de mer suivi de Les rides de mon cœur laisse déambuler sans doute deux poèmes pour suggérer cette bipolarité.

LA MONOMANIE AZUREENNE 

Cette binarité de la poésie sacramentale travaille une verticalité dans la mesure où la résonance intérieure, trempée d’humilité, peut métamorphoser la rétivité en reptation et la génuflexion en vol. Et le lexique sidéral regarde en triomphe le vocabulaire aquatique qui cède place à une fouille archéologique de l’eau dans un milieu désertique : la frayeur diminue de flamme et se fait peur dans une illusion virtuelle où les apparences existentielles sont détruites au son du bleu de la mer, au toucher du bleu du ciel désert, au goût du bleu de l’infini. Faire une fixation sur le bleu, c’est repartir en soi, s’éclater en soi pour une implosion lucide et écarter toutes les ténèbres nuisibles pour pousser à la face de soi le soleil. La symétrie entomologique est sollicitée pour déconseiller le vagabondage verbal et futile, le dépassement lointain du réel voire de l’idéel, l’encerclement de soi en soi. La poésie intimiste avance comme une poésie qui accoste son langage hermétique au cintre de soi sans ronchonner ni s’époumoner pour s’ouvrir sur l’univers en traçant une fonction circulaire et silencieuse qui fait faire au lecteur un travail d’alpiniste ravi de gravir les marches des océans et des étoiles. Sorti des décombres de la vie, le parcours qu’exige cette poésie ameute tous les muscles de l’implicite qui s’offre à l’œil de l’escaladeur comme la lampe invisible dont sont faits ses pieds athlétiques. En cela, Gniré Tatiana Dafia cache des trousseaux de clés dans ses vers qui peuvent paraître obscurs au néophyte.

Les vers de Dafia sont maçonnés de façon qu’à mi-chemin du premier poème, l’Amour fonde les piliers de la virginité perdue. Or l’ovulation de l’intégrité peut se traduire par l’entrebâillement de la porte céleste. S’inventer un ciel bleu au même moment où une pluie torrentielle inonde les nuages est inconcevable lors du jeu cérémoniel mais sémantise des images sacrales dans lesquelles le pacte de sang acquiert un consentement symbolique. Autrement dit, cette poésie secrète des alliances théophaniques : les locuteurs évoluent dans le texte comme s’ils ne devaient pas être pris pour des êtres humains mais pour des Esprits. Il est comme une célébration des mythes de créations, de naissance, de mort et de renaissance.

C’est carrément le poème qui devient un espace allégorique. Les outils de la fonction conative (impératif, apostrophe, prosopopée, antonomase, …) s’accélèrent et croisent les figures de sens (comparaison, métaphore, métonymie, allégorie…) et les éléments oppositifs (antithèse, zeugma). C’est un lyrisme allusif qui donne à humer l’éclosion du soleil depuis la vulve (pro)créatrice du lotus :

« Lorsque tu as extrait de moi / l’amour et l’extase / le désir et la passion / l’espérance et la folie / tu m’es apparue comme un dattier du désert / pourtant je suis venu à toi / et j’ai entrebâillé la porte de ton cœur / afin d’y ensemencer un lotus aux yeux de mer / un lotus bleu au cœur du désert / Toi qui fuis l’amour / donne-moi tes vingt ans que j’ai payés de mon sang / pour aimer ce que j’ai envie d’aimer / donne-moi tes vingt ans pour écrire l’Eternité / car tu es mon Poème »

 

Dès lors, le poème devient une feinte artistique et la poète une couturière d’émotions nucléiques. La monomanie qui peut voiler quelque trouble dû à la sénilité, germe une fixité sur l’épanouissement juvénile de l’Amour. L’effusion des sentiments fait virevolter des syllepses au point que les symboles auroraux, diurnes, vespéraux et nocturnes de la sécheresse et de l’humidification, de la fuite et du retour, du recommencement et de l’immortalité confèrent aux images ignées la rotondité du soleil, de la terre, du lotus, des yeux, … du tourbillon et des vagues marines. Mais cette sphéricité tient aussi de la couronne d’épines qui soulève le royaume christique et décore la vie sacrificielle des véritables poètes.

REPARTIR EN SOI ?

Allégoriser la folie, c’est définir la solitude des poésies hermétiques. Et la poésie hermétique est forcément intimiste, une descente au for intérieur de soi, une réunification d’Isis et de la dépouille d’Osiris dont le quatorzième pan charnel, la partie phallique, cette fois-ci, ne connaît pas la métaphore ichtyologique. L’harmonie conjugale qu’incarne le lotus par la floraison de ses deux fleurs est issue de la boue sédimentaire et infernale. Prenant appui sur cet engrais métonymique, la poésie sacrée ne concerne pas toujours la religion telle que comprise comme une institution humaine. La poésie sacrée convoque un complexe d’Abiku[2] qui habite l’impétrant ; elle siège en chaque personne humaine qui doit œuvrer à la féconder, à l’enfanter, la dompter, la maitriser et la laisser se surpasser ! Il est un travail perpétuel et ardu qu’elle exige et dont l’accomplissement n’est pas offert aux lâches. D’où l’inaccessibilité de la plupart des postulants ! L’autofécondation nécessite une maîtrise de soi, une connaissance de l’autre, une soif de l’univers, une bisexualité du cosmos. La poésie initiatique est remplie d’humilité dans le même temps qu’elle vante Abiku. C’est que le complexe d’Abiku, en comprenant le complexe de Dieu – Entendu comme Amour c’est-à-dire Harmonie cosmique – et de supériorité, en instaurant l’éloge des quatre éléments et leur maîtrise, reconnaît les limites charnelles de l’homme et la force infinie du cerveau directement connecté jusqu’aux galaxies les plus lointaines ; il sollicite le travail basé sur la découverte de soi et de l’univers.

L’effet miroir qu’anaphorisent les vers conclusifs de « Le lotus aux yeux de mer » et qui auréole « Les rides de mon cœur » avec la courbe itérative de « vitrine » renforce l’importance de la réflexion sur le complexe d’Abiku dans le cheminement de la poète Dafia. Réfléchir sur la vie et sur la mort, sur la finitude et sur l’infini, sur la solitude, sur les angoisses, c’est œuvrer à formuler des lois physiques et métaphysiques pour déchirer les nuages du mascaret ; c’est décider de se connaître sans mensonges ni honte ; c’est, ayant soi-même pour seul témoin, se mettre en soi pour puiser les étoiles enfouies en dedans de soi-même et les illuminer davantage pour faire fêter les métaphores des mouvements migratoires qui ressuscitent et octroient la Félicité, la Vérité, la Bonté et la Beauté Eternelles.

Ce florilège de vers intimistes et télépathiques, tout en magnifiant les connotations de l’azur, dessine une symétrie du silence chaotique par rapport à la parole vitale et manipule, sans les voiler à ceux qui savent lire la poésie rituélique prônée par le poète-dédicataire Mahougnon Kakpo, les codes de la circularité du mourir pour renaître :

« Je refais le chemin à l’Envers / voici des jours que parle à mes souvenirs / Toi mon autre /tu es dans tous mes rêves / dans tous mes souffles / je ne t’ai jamais laissé loin de moi / hier tu étais avec moi / demain tu seras encore là / et tu cueilleras le poème que je porte à la main ».

Daté Atavito Barnabé-Akayi

 

[1] Née à Nikki dans le nord du Bénin, Gniré Dafia est poète et docteur de l’Université d’Abomey-Calavi. En 2001 et en 2009, elle a respectivement participé à Ce regard de la mer… et Si Dieu était une femme…, deux anthologies dirigées par Mahougnon Kakpo.

[2] Lire mon article intitulé « Esthétique d’Abiku dans « Les fils de Ra » de Mahougnon Kakpo », in Jogbe N°1, (numéro coordonné par Aimé Avolonto), Cotonou, Editions des Diasporas, 2018, pp.316-348.

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