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Un billet pour Mantsina sur scène 2024
By Sonia Le Moigne-Euzenot Posted in Congo, Evénement, Sonia Le Moigne Euzenot on 6 février 2025 0 Comments
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La 21ème édition du festival Mantsina sur scène 2024 s’est déroulée du 13 au 22 décembre à Brazzaville. 10 jours de festivités : des spectacles de théâtre, de danse, des lectures, des rencontres, des espaces de formations, ouverts à tous, gratuits ! Ce festival relève le défi depuis vingt ans ! 

Théâtre en plein air

Tout dans ce festival force les applaudissements : comment une telle manifestation artistique, qui s’affirme comme la volonté de proposer au public de tel ou tel quartier populaire, éloigné des lieux habituels des représentations culturelles, invite-t-elle à venir assister, en soirée, en plein air, à des spectacles vivants ? Comment provoque-t-elle l’enthousiasme des spectateurs qui se précipitent pour ne rien rater de ce qui va se jouer pendant toute cette semaine de festivités ? 

Les lieux des représentations créent d’emblée l’attraction. Ces lieux qui se transforment en espace scénique sont constitués des cours des voisins, propriétaires des parcelles généreusement prêtées pour que telle pièce de théâtre soit jouée, que tel spectacle de danse soit donné. Le public se bouscule très vite pour trouver sa place dans cette parcelle de leur quartier qu’ils connaissent bien, mais aussi, et surtout, parce qu’il est curieux et friand de toute manifestation artistique : pour preuve, cette véritable complicité qui s’instaure presque toujours entre plateau et public, complicité sonore qui interpelle, répond, invective, rit, réfute, exclut un quatrième mur qui pourrait la priver de réagir en direct à ce à quoi elle assiste. Fort peu de spectacles de Mantsina sur scène se jouent sans cette adhésion du public actif, réactif, quand bien même celui-ci n’est pas monté dans une visée volontairement participative. Tous les genres théâtraux ont leur place, leur diversité est même souhaitée par la programmation. Le public de Mantsina est un public qui fait du spectacle vivant un moment d’échanges dynamiques. Il est exigeant. Metteuses en scène, metteurs en scène, comédiennes et comédiens, tous les actrices et acteurs des spectacles le savent parfaitement : jouer à Mantsina est une gageure. Ça tombe bien, lui aussi aime le défi.

Ce festival cherche expressément à rapprocher le spectacle vivant de son public : un public particulièrement disponible, particulièrement sensible à cette forme d’expression. La directrice de Mantsina sur scène Madame Sylvie Dyclo-Pomos est très consciente de cet atout. Elle déploie beaucoup d’efforts pour élargir les lieux actuels du festival à d’autres quartiers de Brazzaville. La tâche semble extrêmement difficile. Au fil des années, des lieux culturels, même emblématiques, ont fermé. Fort heureusement, d’autres s’affirment, portés par la volonté tenace d’acteurs locaux qui s’acharnent à ouvrir toute l’année leur espace aux diverses compagnies débutantes ou déjà chevronnées en mal de lieux de répétition. Tous ces lieux sont des lieux de transmission.

 

Le directeur de l’espace Noura monsieur Youssef Samba situé dans le quartier de Bacongo n’a eu de cesse de répéter au début et à la fin de chaque représentation 2024 que son lieu était ouvert à la création. L’espace qu’il offre est modulable. Cette année Muela Mualu, metteur en scène des bords de scène écrit par Philippe Girodier, a tiré profit d’un proscenium réinventé. Le face à face entre Bart et Aubain deux êtres broyés par un monde économiquement totalement dérégulé n’était pas seulement l’occasion de déconstruire un engrenage mortifère. Le plateau empiétait sur l’espace des premiers spectateurs assis. L’éclairage intimiste participait à cet effet réussi de proximité. Les préoccupations de Bart et Aubain pouvaient en effet être aussi celles du public. Mbong’wa Ba Long de S.Konde a pu, à son tour, se donner là alors qu’il imposait de manipuler de grandes marionnettes, très délicates à manoeuvrer. Il y a même monté un espace scénique à plusieurs niveaux pour jouer simultanément de champ contrechamp et donner à voir la situation inextricable d’un professeur de mathématiques aux prises avec une administration tristement inconséquente.

Les ateliers Sahm (https://www.lesatelierssahm.org ) dans le même quartier est un espace dédié à la création artistique, littéraire, musicale où, autour de sa fondatrice Bill Kouélani, se croisent tous les jours tous les arts, peinture, sculpture, danses, performance, poésie, slam, musique, arts numériques, spectacle vivant… Ce lieu est un vivier pour l’art contemporain. On s’y exerce, on s’y forme, on y partage tout ce qui pourra faire (ou pas) l’objet d’une programmation. Ce lieu est aussi un espace de résidence où chaque créateur peut prendre le temps de travailler, de se servir dans la bibliothèque qui ne demande qu’à s’étoffer. Un espace en plein air est ouvert au spectacle vivant. Il offre une petite jauge mais on y a vu cette année notamment la prestation d’un jeune comédien bourré de talent : Fed Boumpoutou. Metteur en scène, il interprétait aussi le rôle principal d’Un aller simple pour l’ailleurs d’après la pièce de Criss Niangouna Des ombres et des lueurs (publié en 2016 aux éditions Passage(s)). Subtilement accompagné à la guitare par Ové Bass, l’intelligence de jeu de ce comédien hyper-sensible a transporté le public au cœur de la narration qu’il a fait vivre, dont il a communiqué la force. Le personnage est aux prises avec l’écrasante douleur de la disparition de sa famille, l’effroyable catastrophe de la guerre civile. Le désespoir le percute. Fed Boumpoutou incarne son personnage, oblige à ne pas détourner les yeux, à le regarder en face. La musique n’accompagne pas le texte, elle dessine le trajet intérieur d’un être douloureux et lumineux, elle souligne que cette quête vers l’ailleurs est insondable. Spectacle époustouflant !

Gare aux pieds nus est un lieu culturel fondé par madame Georgette Kouatila, comédienne, que l’on appelle respectueusement mère Djo. Éloigné du quartier de Bacongo, à Sadelmi, la saison des pluies pendant laquelle se déroule Mantsina ne rend pas toujours facile l’accès à ce lieu pourtant exceptionnel. À la fois lieu de résidence, espace de répétition et de jeu, de rencontres professionnelles et amateurs, ce lieu est une pépinière de talents. La petite enfance y est choyée toute l’année, la bibliothèque largement ouverte, régulièrement enrichie ne les oublie pas. Le mot d’ordre ici, c’est la formation. Même si cette année aucun spectacle n’a été programmé à Gare aux pieds nus, la présence constante de ses animateurs Nadège Samba, Triphène Juvalaise Tamba Bonazebi ou Fed Boumpoutou notamment, ont largement contribué à la fois au bon déroulement des spectacles mais surtout à protéger cette ambiance chaleureuse qui y règne. Tous savent de quoi ils parlent lorsqu’ils doivent épauler ceux que l’on nomme affectueusement les Courageux. Les Courageux sont les techniciens toutes catégories, les régisseurs toujours en première ligne lorsque la pluie s’invite au spectacle, que l’électricité fait défaut, que tel câble manque au dernier moment et qu’il faudra quand même jouer, que tout le public en a envie, qu’il est déjà en place et qu’attendre ne lui fait pas peur ! Bref ! On n’annule pas un spectacle, n’est-ce pas Davy Malonga ? Au fil des années, lentement, résolument, Gare aux pieds nus a opéré un vrai travail qui favorise l’émergence de nouveaux talents. Elle ouvre son espace à des rencontres internationales qui nouent des liens solides avec de nouvelles scènes, de nouveaux partenariats, de nouveaux enjeux de coopérations artistiques.

L’espace Tabawa n’est pas très éloigné de l’espace Noura. On pourrait s’y rendre à pied, tranquillement, ou bien prendre un taxi et dire au chauffeur : venez, tous les spectacles de Mantsina sont entièrement gratuits ! Vous avez le temps ? Il sera étonné et promettra de venir, et certains sont venus en effet ! Tabawa est une belle cour très végétalisée où poussent légumes et fruits, où les oiseaux sont chez eux et savent se faire voir et se faire entendre. Nous sommes aussi chez Noëlle (et son époux) qui prête toujours une belle partie de sa parcelle pour des lectures, des rencontres, parce que ce lieu se prête bien à l’écoute des voix. Chacune des 21 éditions de ce festival ont fait la part belle aux lectures : on peut en écouter une quotidiennement, voire deux ! Noëlle Ntsiessie-Kibounou est une des figures majeures de Noé Culture, l’association à l’origine avec ses fondateurs Dieudonné Niangouna, Abdon Fortuné Koumbha, Ludovic Louppé, Jean Félhyt Kimbirima et Arthur Batouméni du festival Mantsina sur scène. Plusieurs metteuses et metteurs en scène font le choix de diriger les lectures qui sont proposées. Neuf lectures cette année, de textes connus ou inconnus, édités ou pas, souvent des textes de théâtre mais pas toujours. Faustin Keoua-Letourmy a ainsi donné lecture de trois nouvelles de son recueil Requiem, inédit : une écriture exigeante, mesurée, ancrée pour l’une d’entre elles dans le souvenir de cet accident de chemin de fer à Mvoungouti en 1991. Un narrateur suit pas à pas cette locomotive. Il l’installe dans le paysage et, progressivement, il parvient à lui faire prendre tragiquement vie. Louis Moumbounou a partagé sa lecture de On l’appelait Joséphine, de Timba Bema publié aux éditions Nzoi en 2024. Les trois comédiennes et comédien à ses côtés ont suivi le parcours cahotique d’une femme abusée, spoliée. Elle saura s’émanciper du statut de victime qu’on voudrait lui coller à la peau. Lecture complexe et réussie d’un texte qui ne se laisse pas faire facilement. Les lectures de Mantsina sont souvent de belles découvertes. Les comédiennes et comédiens qui s’exercent à l’exercice si difficile de la lecture à voix haute méritent la qualité de l’écoute du public présent. Tabawa est un écrin végétal où il fait bon causer des lectures que l’on vient d’entendre, parier que tel texte sera monté l’an prochain…

L’espace Mantsina se situe à Matour, à Makélékélé. Quand le festival se donne dans la rue, celle où vivait Sony Labou Tansi, on a tous, toujours, l’impression d’être à la maison. C’est inénarrable, indescriptible. Les participants aux premières éditions doivent éprouver une émotion encore bien plus profonde tant ils savent, mieux que tous, la prodigieuse énergie, l’enthousiasme à l’origine de ce fabuleux projet. Ils y ont cru ! Ils ont « boxé la situation » par amour du théâtre, par goût de la recherche théâtrale. Ils avaient la volonté de poursuivre ce que d’autres dramaturges avant eux, avec eux, d’autres compagnies, d’autres amoureux des voix à écouter et entendre avaient déjà amorcé : inventer et partager un langage qui donnerait envie d’inventer encore, de partager encore. Pour preuve, ces moments quotidiens, les « carrefours ». Ils sont, chaque matin, l’occasion de discussions, de débats, parfois animés, voire très animés entre les artistes qui se sont produits la veille et les spectateurs qui étaient présents, et même ceux qui n’y étaient pas. On y parle processus de création, travail du comédien, de la comédienne, éclairage, musique, texte. Les « carrefours » sont toujours nourris parce que tout acte artistique suscite points de vue et propositions, adhésions, rejets, émotions, dialogues. Mantsina aime le spectacle vivant… et ces « carrefours » ont longtemps eu lieu à Matour. Que cette rue soit aussi lieu de circulation des voitures et des personnes a sans doute fini par inciter à nous déplacer vers les ateliers Sahm. L’esprit des « carrefours » voulu dès la création du festival n’a pourtant jamais disparu. Il est vivifiant.

Fécondation littéraire

Il est inséparable de la présence des écrivains qui ont nourri et nourrissent toujours Mantsina. Cette forme de fécondation littéraire agrège tous les intervenants congolais de ce festival. Tous connaissent intimement les œuvres de Sony Labou Tansi, Sylvain Bemba, Henri Lopes, Tati Loutard ou Tchicaya U Tamsi (et bien d’autres), non pas de manière livresque mais parce que les mots de ces auteurs font partie de leur être littéraire et très probablement, de leur personne. Ces artistes sont une part d’eux-mêmes sans qu’il soit envisageable de dissocier leur production littéraire de ce qui les nourrit. Du reste, beaucoup des artistes présents lors du festival ont travaillé avec les auteurs dont on vient de parler, certains ont écrit et écrivent encore. Nicolas Bissi, co-fondateur avec Sony Labou Tansi du Rocado Zulu Théâtre avec Sur la tombe de ma mère a donné l’an dernier sa nouvelle pièce Ils m’ont salement tiré coût à coût. Mais ce n’est pas une question de génération. À l’évidence, la jeune comédienne Lise Makosso a pris plaisir à s’approprier un extrait de Qu’ils le disent, qu’elles le beuglent de Sony Labou Tansi lors de la cérémonie de clôture du festival. Le jeune dramaturge et comédien Verêve Mafoua pousse sur le même terreau. Il a proposé cette saison sa pièce La bière et la bible à l’espace Noura. Le texte est très actuel. Il aborde des sujets plutôt polémiques et toujours délicats. Un prêtre peut-il se permettre de mettre à mal l’image que l’on se fait de son statut sacerdotal ? Ou bien, peut-on parler d’homosexualité sur un plateau de théâtre ? Et si ce qu’on nomme folie n’en était pas ? La même envie de théâtre, la même exigence, la même envie de partager une certaine vision de l’Art. Mantsina suscite des vocations, contribue à les aider à s’épanouir. Le patrimoine littéraire congolais est un terreau fertile, la métaphore n’est pas un cliché parce que les textes qui circulent, qui s’échangent, se discutent sont des textes d’autrices et d’auteurs vivants, ancrés dans un XXI° siècle qui leur appartient parce qu’ils sont jeunes et qu’ils ont leurs mots à dire, à leur tour. 

Vitalité artistique

L’avenir de Mantsina sur scène repose sur l’extraordinaire ténacité de toute l’équipe de Noé cultures, celle des artistes qui sont là, présents chaque année, résolument décidés à faire vivre ce projet artistique, magnifique mais tellement douloureux, tellement difficile à défendre. La fatigue qu’on perçoit parfois lors de certains échanges, n’est pourtant jamais la raison d’un renoncement. La vie quotidienne est difficile, les occasions de se décourager sont innombrables, les raisons en sont profondes. Je suis admirative de cette vitalité artistique. Chacune des pièces représentées demande une énergie folle, une volonté à toute épreuve. Des spectacles sont montés avec une minuscule enveloppe financière, ce qui pourrait en décourager beaucoup, et on le comprendrait. Cette année, nous avons vu plusieurs spectacles « seul en scène », peut-être que ceci explique cela. En tout état de cause, et qui est certain c’est que la performance d’un comédien, d’une comédienne, qui donne corps à un texte sur un plateau dont il doit seul occuper l’espace est une gageure. Une gageure parfois compliquée par le choix de dire un texte qui n’a pas été initialement écrit pour le théâtre. Le choix d’une telle prise de risque par une équipe artistique pointe plus que jamais la volonté d’aborder frontalement les sujets qui tourmentent la société dans laquelle ils vivent, la douleur de l’exil, la mémoire vive des dernières guerres à Brazzaville… mais aussi, plus prosaïquement des questionnements sociétaux bien plus ordinaires comme l’emprise des réseaux sociaux ou les dégâts d’une usurpation d’identité.

Ce qui est confondant c’est de savoir que la presque totalité de ces spectacles ne sera donnée qu’une seule fois ! Au mieux, peut-être, une nouvelle fois à l’Institut français. Et pourtant d’une année sur l’autre, les comédiens et comédiennes sont là, enthousiastes et exigeants. Une jeune génération s’affirme. Le spectacle Cave 72 adapté du roman de Fann Attiki et mis en scène par Boris Mikala aura sans doute, on l’espère, la chance d’être montré ailleurs mais son cas est un peu particulier. Il a bénéficié de bonnes conditions de travail. Ce qui ne retire bien évidemment rien à la qualité de sa recherche formelle. Nous étions à Makélékélé. Sur le plateau s’entremêlaient fiction théâtrale et mise en abyme, comédiens, personnages et poupée de chiffon pour rendre compte d’un imbroglio juridique dans lequel il s’agissait de punir les faux coupables d’un assassinat qui s’est trompé de victime. Tous les protagonistes de ce spectacle le savent bien, ils sont les enfants de Mantsina.

Mantsina sur scène est un lieu d’émulation. Son énergie ne se dément pas d’une année sur l’autre parce que ce festival est un rendez-vous que personne ne voudrait manquer. Spectacles vivants, carrefours, lectures, formation façonnent ensemble Mantsina dont le nom signifie «  un bon parfum qui se dégage de la scène ». Ils prennent vie au milieu des rues de Bacongo. 

 

Sonia Le Moigne-Euzenot

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